Plein nord

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C’est grâce à ma copine Marie-Claude du blog Hop sous la couette ! que j’ai découvert l’écrivain américain Willy Vlautin. Son Willy! J’avais envie de comprendre son engouement, même si je savais déjà que ces histoires-là, ces anti-héros écorchés par la vie, me parleraient.

Il est des romans qui sont des claques – Plein Nord en est une, magistrale et violente.

Allison a 22 ans – cheveux noirs, yeux bleus, et diablement maigre. Elle a au creux des reins deux tatouages, une croix gammée, et le sigle de l’Eglise mondiale du créateur, que son petit ami lui a fait faire un soir de cuite. Allison boit, elle boit tellement qu’elle perd connaissance à chaque fois qu’elle est ivre. Jimmy, son petit ami, la maltraite, la violente, l’attache pour la punir ou l’enferme dans un coffre de voiture. Et l’emmène traîner dans les fêtes des néo-nazis du coin, où l’alcool exacerbe les comportements violents et nationalistes.

Le jour où Allison découvre qu’elle est enceinte, elle décide de fuir Las Vegas et l’insécurité de son quartier, laissant derrière elle sa mère, sa petite sœur et son job de serveuse pour tenter d’échapper à la toxicité de Jimmy et se reconstruire.

Elle rejoint Reno, où d’évènements en rencontres, on espère voir Allison échapper à son destin de fille prédestinée à mal finir. Et elle en met une volonté féroce, pour se battre, pour s’en sortir, malgré sa sale addiction. Allison est pleine de failles, d’insécurité, de doutes,  de souffrances, mais Reno met sur son chemin des personnages qui la portent.

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crédit photo @City of Reno: Reno Lens

Et surtout, elle entretient avec Paul Newman, dont elle a vu maintes fois tous les films, un dialogue imaginaire qui lui donne espoir en elle, et en une vie meilleure :

Dès que j’ai des soucis ou une crise d’angoisse, je pense à lui. Parfois, c’est dur de le faire venir, mais la plupart du temps il se pointe

Paul Newman, qui endosse dans ces moments-là le rôle de l’homme idéal, à la fois tendre et paternel, prend soin d’elle et la guide:

Fais bien attention à toi, petite. Je serai toujours à tes côtés. Et laisse tomber la picole. Pour elle un seul homme, tu t’en souviens ? Je dois reconnaître que je ne faisais pas grand-chose dans celui-là, mais bon, on ne choisit pas toujours ses rôles. Bref, cette pauvre Hélène, elle avait vraiment un problème avec la bouteille. Elle en a vu de toutes les couleurs, dans ce film. C’est malheureux à dire, mais tu pourrais bien finir comme elle si tu n’y prends pas garde. Alors, suis mon conseil : pas touche à la picole, tu retournes à l’école, et surtout, tu restes à l’écart de Jimmy. De lui et de son foutu Nord. Souviens-toi petite, les endroits où se réfugier, ça n’existe pas. Les endroits sans tarés, sans mort et sans violence, sans changement, sans nouvelles tête, ça n’existe pas. Monte dans le Wyoming ou le Montana, et tu te heurteras aux mêmes problèmes qu’à Vegas ou qu’à La Nouvelle-Orléans. Tu te heurteras à toi-même

Allison est une fille paumée, sans repères, qui a quitté le lycée du jour au lendemain. Livrée à elle-même trop tôt par une mère aimante mais démissionnaire et possiblement alcoolique, sa vie est faite de mauvais hasards, d’ennui aussi, qu’on noie dans l’alcool. On boit ici des bières comme on boirait de l’eau, du café, du coca, indifféremment, à n’importe quelle heure du jour où de la nuit, et peut-être à n’importe quel âge.

Combien de fois ais-je eu envie de secouer Allison, de lui dire de lâcher son verre et de penser à des choses saines, et combien de fois ais-je eu également envie de la consoler et de lui dire d’avoir confiance en elle ? Allison est comme une petite sœur à laquelle on s’attache avec tendresse, et qu’on a envie de prendre sous son aile pour la sauver avant tout d’elle-même.

Willy Vlautin fait ressortir le plus sordide de cette Amérique profonde, l’alcoolisme, la violence, la drogue le racisme, la bêtise de l’ignorance – il nous donne l’impression qu’une fois englué, on ne peut plus s’en sortir –  mais il réussit malgré tout à faire ressortir la lumière de toute cette fange.

L’émotion est sublimée par ses personnages cabossés, abîmés. Willy Vlautin n’a pas besoin d’une écriture pompeuse, alambiquée, affectée pour décrire cet univers. La simplicité de son style suffit à transcender ces parcours de vie et cette certaine idée de l’Amérique, loin de faire rêver mais pourtant si réelle.

J’ai retrouvé ce frisson que j’avais eu dans Les Animaux avec les parcours de Nat et Rick – Willy Vlautin faisait partie de ceux que Christian Kiefer citait dans ses remerciements, et je comprends maintenant pourquoi.

Pour découvrir Willy Vlautin, je vous engage à aller découvrir son blog. Ça se passe ici:  je file découvrir Willy Vlautin (anglais exigé!)

Né à Reno dans le Nevada en 1967, il est également chanteur et compositeur d’un groupe folk-rock, Richmond Fontain.

 

Titre: Plein Nord (Northline)

Auteur: Willy Vlautin

Editeur: Albin Michel – Terres d’Amérique

Parution: 2010

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