Cœur-Naufrage

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J’ai comme le cœur qui chavire en refermant ce roman…

Lyla a 34 ans, elle vit à Paris. Lyla, avec un y, est traductrice, elle a quelques amis, une éditrice, un amant marié, un médecin généraliste, un pharmacien. Elle vit dans l’anesthésie de sa routine. Jusqu’au jour où le passé, le passé mis si habilement de côté, le passé lourd, douloureux, secret, se matérialise sous la forme d’un message téléphonique.

Joris le surfeur, le taiseux, le petit copain de l’été de ses 16 ans sur la côte landaise, se rappelle à son souvenir après avoir perdu son père, refaisant  surface en exhumant un secret profondément enfoui. Avec son message, tous les murs que Lyla avait dressés s’effondrent un à un. Les non-dits refont surface, le joli vernis sur sa petite vie s’écaille, se fendille comme l’armure qu’elle avait revêtue 17 ans auparavant. Quel est ce lourd secret que Lyla, en 17 ans, n’a partagé avec personne et l’a définitivement coupée de sa famille ?

Cœur Naufrage, c’est l’histoire de deux être broyés par la vie alors qu’ils sortent à peine de l’adolescence : d’un côté, une jeune fille brisée par une mère narcissique, manipulatrice et jalouse, qui lui a volé sa vie pour briller dans son métier de photographe. De l’autre côté, un jeune homme détruit par un père alcoolique et brutal, qui s’interroge sur une mère morte trop tôt et dont son père ne veut pas lui parler. Deux être réunis le temps d’un court été par leur « haine-mère » et leur « haine-père », deux êtres devenus adultes et qui survivent.

J’avais le cœur tranché et je crois que Lyla m’a aimé à cause de cela, au moins en partie. J’étais fracassé, je lui faisais peur. Elle était fissurée, elle voulait avoir peur. Nous étions deux paumés en puissance, deux enfants uniques aux parents défaillants 

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Dans ce roman rythmé, alternant des chapitres où Lyla et Joris dialoguent avec leur présent et leur passé, Delphine Bertholon nous tient magnifiquement en haleine.

Quel style, quelle écriture ! Chaque phrase contient en quelques mots percutants une pensée éclairée, une vérité qui tranche par son évidence comme un couperet, une expérience de vie détonante pour une auteure aussi jeune.

Je réalise aujourd’hui que j’ai quitté des gens qui m’aimaient trop pour des gens qui ne m’aimaient pas assez, sans jamais rencontrer celui qui m’aimerait comme il faut. Sans doute est-ce ma faute, mais je ne sais pas pourquoi.

Je suis une amie, une maîtresse, un faire-valoir, une infirmière. Et personne, jamais, ne s’occupe de moi

Sur les 408 pages du roman, jamais le rythme ne faiblit, jamais l’histoire ne pèse, s’alourdit, s’englue.

J’avoue avoir été surprise et inquiète, les premières pages, par les mots désabusés de Lyla. Mon dieu, est-ce que tout le livre porterait la marque de ce cynisme-là ? Bien évidemment, ce sentiment passe très vite, car Lyla nous ouvre tout, ses souvenirs, son âme, son cœur, la porte sur son passé. Et elle a bien des raisons d’être désabusée, cette jeune fille prometteuse, lumineuse comme une aurore boréale lorsque Joris la rencontre, aujourd’hui opaque comme le dit d’elle son amie Zoé.

A l’instar des personnages, on s’interroge sur les chemins que prend la vie, que se serait-il passé si on avait suivi tel chemin plutôt que tel autre ? On s’interroge sur la puissance destructrice des non-dits et du « mal-aimer ». On s’interroge sur la capacité à aimer tout simplement lorsque le cœur et le corps portent gravées en eux les cicatrices du traumatisme physique ou mental.

On referme le roman, avec l’envie de l’ouvrir à nouveau, pour se nourrir de ses mots, magnifiques, poétiques. Finalement toute l’ombre s’estompe, l’espoir est là, la lumière au bout de la vague qui a déferlé sur ces vies. Lyla et Joris méritent tellement d’être heureux.

Pas besoin de littérature américaine, finalement, pour parler de personnages cabossés, ici aussi, dans notre Littérature française,  ils peuvent l’être. Et c’est terriblement beau.

 

Titre : Cœur-Naufrage

Auteur : Delphine BERTHOLON

Editeur : JC Lattès

Parution : 2017

7 réflexions sur “Cœur-Naufrage

    1. Voilà… après tout! Finalement ce que j’ai tellement apprécié dans les deux Willy Vlautin était là! Certes les personnages sont moins en marge mais ils sont écorchés aussi par la vie… et il y a même les fameux packs de bière, que je trouvais tellement américains!

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