Le Sans Dieu

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Mille sabords!

Qui aurait pu croire que je m’éprendrais d’un roman de pirates? Certainement pas moi…

Et pourtant, dès les premières pages, Virginie Caillé-Bastide m’a embarquée dans l’histoire du Sans Dieu, sans que j’aie envie de la lâcher!

L’histoire commence en 1709, en Bretagne. Lors d’un hiver terriblement froid au cours duquel une famine outrageusement meurtrière s’installe, Arzhur de Kerloguen perd le dernier de ses sept enfants, tandis que sa femme sombre dans la folie. Sa foi l’abandonne, tout comme l’humanité qu’il avait en lui. Derrière lui, il laisse sa seigneurie et les lambeaux de sa vie, muni de son incommensurable colère à l’égard de Dieu pour tout bagage.

Six ans plus tard, un navire pirate, Le Sans Dieu, fait régner la terreur sur la mer des Caraïbes. Son cruel capitaine, surnommé L’Ombre, attaque les navires qui croisent en mer, entouré de sa fidèle équipe de flibustiers, hommes sans foi ni loi qui ont renoncé à tout:

Pour Palsambleu, Gant-de-Fer, Fantôme de Nez, Bois-sans-Soif et tous les autres, le passé n’avait plus d’existence et l’avenir n’offrait aucune espérance. Tous étaient devenus des hommes du présent. Dès lors, l’action seule importait, car leur choix de vie n’oscillait plus qu’entre liberté et potence.

Lors du pillage particulièrement sanglant d’un galion espagnol, l’Urca de Sevilla, sur lequel les flibustiers sèment comme à chaque fois la mort, L’Ombre épargne la vie d’Anselme, un père jésuite. Embarqué comme prisonnier sur le brick, le « Padre », qui lui même a parcouru dans sa vie des chemins sombres et douloureux, oppose sa foi au rejet religieux de l’Ombre – les deux hommes ne vont cesser de s’affronter autour de la question de l’existence de Dieu, chacun cherchant à faire renoncer l’autre à ses idées.

Tirons notre courage de notre désespoir même (Sénèque)

Quelle prouesse que cet incroyable roman dans le pur style du roman d’aventures et de piraterie!

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L’intrigue est campée par des personnages forts, décrits et analysés avec beaucoup de justesse et de réalisme. Dans un récit haletant à bord du Sans Dieu, on affronte les tempêtes, on monte au combat, et on vibre en éprouvant un plaisir inattendu, réminiscence des récits d’aventure de notre enfance (et je peux vous dire que dans ma contrée normande de bord de mer, l’histoire de pirates et de corsaires fait partie de l’inconscient collectif dès le plus jeune âge!)

L’auteure nous captive par la force du détail qu’elle infuse à toutes les pages de son récit. Tout commence déjà avec la langue qu’elle utilise, mâtinée de vieux français 18ème siècle – impensable d’imaginer ce récit dans une langue contemporaine. Que ce soit dans la construction des phrases (verbe à la fin de la phrase – très germanique), dans le vocabulaire utilisé, les insultes, les prénoms ou les surnoms. Parlons-en de ces surnoms qui nomment l’homme d’après une histoire ou des caractéristiques physiques: L’Ombre, bien sûr, mais aussi Palsambleu, Gant-de-Fer, Fantôme de Nez ou Bois-sans-Soif (et croyez moi, dans les ports de pêche aujourd’hui, ce type de surnom existe encore).

Les attaques auxquelles on assiste sont d’un réalisme aussi incroyable que cruel:

Au sabre, au couteau, au crochet, les flibustiers tranchaient les gorges, crevaient les yeux, ouvraient les panses et les étripaillaient, laissant aux victimes à genoux le soin de retenir leurs entrailles à deux mains. Le pont était devenu gluant d’un mélange de viscères et de sang dont l’odeur écoeurante commençait à se répandre

Travail d’imagination, de documentation? Il est tout bonnement incroyablement impressionnant. L’auteure met la même passion dans la description des bateaux, sans jamais rendre le récit ennuyeux. On se surprend à aller consulter en ligne la différence entre un brick, une frégate ou un trois-ponts, et à imaginer les conditions de vie (par ailleurs fort bien décrites) à bord.

J’ai aimé également naviguer dans ces mers aux eaux turquoise, que Virginie Caillé-Bastide a su décrire avec beaucoup de réalisme, j’ai aimé imaginer ces îles New Providence, Hispaniola telles qu’elles devaient être au 18ème siècle, des repères de flibustiers sans peur ni reproche, violents, avinés – toutes aussi malfamées et dangereuses que les ports bretons de Brest ou L’Orient (oui, L’Orient et non Lorient).

Dans le récit de ces aventures, le roman intègre d’autres éléments historiques contemporains de l’époque avec en premier plan la traite des Noirs, ou de façon plus anecdotique, la pêche à Terre-Neuve (peut-être moins susceptible d’interpeller le lecteur, mais en ce qui me concerne, la pêche à Terre-Neuve, c’est l’histoire de la ville où je suis née, et elle me passionne).

Au-delà de ces pures aventures de pirates, le roman a bien entendu une portée philosophique dans le combat intellectuel qui oppose L’Ombre au Padre sur la religion et la foi, tout en interrogeant sur la liberté.

Un seul regret, j’aurais aimé que le roman soit encore plus long, pour continuer à suivre ces personnages auxquels je me suis émotionnellement attachée.

Le Sans Dieu est le premier roman de Virginie Caillé-Bastide. D’origine bretonne, passionnée d’histoire, elle travaille depuis plus de trente ans dans la publicité.

Titre: Le Sans Dieu

Auteur: Virginie Caillé-Bastide

Editeur: Editions Héloïse d’Ormesson

Parution: 24 Août 2017

10 réflexions sur “Le Sans Dieu

  1. je le note !!! ça me rappelle (ce discours entre un croyant et un non croyant) un roman lu cet été, pas encore traduit, où une jeune femme anglaise, éprise de science, s’éprend du vicaire et ils discutent de la foi (et de la science) et en plus des pirates… je note !

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