Il est des livres qui vous rappellent viscéralement pourquoi vous aimez lire, et pourquoi vous aimez les écrivains – surtout quand ils laissent tomber le masque.
Fini de raconter des histoires, fini d’inventer des personnages, fini le mensonge qui cache la vérité.
A la faveur d’un déplacement en province, dans sa région d’origine, une rencontre inattendue va bouleverser l’auteur et le faire basculer plus de trente ans en arrière: la silhouette d’un jeune homme, son allure, sa tenue, tout lui évoque son premier grand amour, Thomas.
En cette année 1984, Philippe Besson est élève en classe de Terminale C au lycée de Barbizieux.
J’ai dix-sept ans.
Je ne sais pas que je n’aurai plus jamais dix-sept ans, je ne sais pas que la jeunesse, ça ne dure pas, que ça n’est qu’un instant, que ça disparaît et quand on s’en rend compte il est trop tard, c’est fini, elle s’est volatilisée, on l’a perdue, certains autour de moi le pressentent et le disent, pourtant les adultes le répètent, mais je ne les écoute pas, leurs paroles roulent sur moi, ne s’accrochent pas, de l’eau sur les plumes d’un canard, je suis un idiot, un idiot insouciant.
Elève brillant, exemplaire, c’est celui qui obtient les meilleurs notes et qu’on remarque pour ses bons résultats, pas pour sa popularité, ni pour son physique. Il ne s’intéresse pas aux filles, on prétend qu’il préfère les garçons – et il le sait déjà, oui, qu’il préfère les garçons. Mais comment l’assumer, en 1984, à 17 ans, dans un lycée de province? Alors comment aborder ce garçon de Terminale D, longiligne, charismatique, entouré de filles, qui le bouleverse tant? Déjà, un Terminale C ne parle jamais à un Terminal D, et rien que ça, ça paraîtrait suspect. Alors imaginer quoi que ce soit d’autre avec lui? Mais au moins, il a réussi à apprendre son nom – Thomas Andrieu, et c’est déjà précieux.
Ce garçon, à l’évidence, n’est pas pour moi.
Et même pas parce que je ne serais pas assez séduisant, pas assez attirant. Simplement parce qu’il est perdu pour les garçons. Il n’est pas fait pour eux, pour ceux comme moi. Ce sont les filles qui le gagneront
Contre toute attente, c’est ce même Thomas qui un jour l’aborde, et fixe les règles. Ne pas se parler, ne pas se montrer ensemble. Alors Philippe Besson va dire oui à tout, oui au silence, oui aux règles, oui à la clandestinité, oui au sexe, cru, viril, sans sentiments – même s’il aime déjà, avec l’émotion et la force vive du premier amour. A leur façon, pendant cette année de terminale, ces deux-là vont s’aimer secrètement, voracement, dans un temps en suspension – « parce que tu partiras et que nous resterons » lui a soufflé Thomas. Alors oui, chacun suivra son chemin après le baccalauréat – avec tout le renoncement que cela demande, et la douleur que laisse un premier amour inachevé. Malgré la douleur qu’il éprouve, l’auteur n’a pas encore la mesure de tout ce que ce renoncement porte en lui.
Que vous dire de plus de ce récit autobiographique (j’hésite à écrire « roman »), sinon que j’en suis sortie complètement secouée comme après un grand essorage? Comment regarder la couverture du livre qu’on tient entre les mains sans émotion, au moment de le refermer?
On devine que ce livre, qui arrive tard dans l’oeuvre de l’écrivain, est en fait celui qui a généré tous les autres. Il porte en lui tout ce qui a nourri Philippe Besson, ses histoires, sa façon de parler de l’amour, ses mensonges et ses vérités.
On se délecte de son écriture, le récit au présent qui ancre le lecteur dans l’histoire, le phrasé simple, sobre, sensible, sincère, sans filtre. L’amour qu’il décrit nous parle, c’est l’universalité des émois de l’adolescence, des amours de cour de lycée. Sauf que celles-ci portent le poids du secret et de l’interdit.
L’amour entre ces deux garçons peut être cru, direct, sans fard, mais la sensualité transcende le récit.
L’amour, c’est des bouches qui se cherchent, qui se prennent, des lèvres qu’on mord, un peu de sang, le poil de sa barbe qui irrite mon menton, ses mains qui empoignent ma mâchoire, afin que je ne lui échappe pas.
C’est la broussaille de ses cheveux où je glisse mes doigts, la raideur de sa nuque, mes bras qui se referment sur lui, qui l’enserrent, pour être au plus près, pour qu’il n’y ait aucun espace entre nous
C’est aussi le témoignage sur une époque, celle des années 80 (sa musique, ses vêtements, ses codes – et surtout, c’était avant que l’on parle du sida) mais aussi celle des cours de lycée, des temps de récré où l’on guettait le coeur battant celui ou celle dont on était amoureux en secret pendant des semaines, et où le moindre signe avait son importance capitale.
Un très beau roman à découvrir pour toutes celles / tous ceux qui comme moi l’ont loupé à sa sortie: vous pouvez vous rattraper avec la parution en poche aux Editions 10/18 ce 4 janvier!
★★★★★
Titre: « Arrête avec tes mensonges »
Auteur: Philippe Besson
Editeur: Julliard
Parution : 2017 / 4 janvier 2018 chez 10/18
Très belle chronique pour ce roman qui m’a également beaucoup touchée! (je l’ai découvert en audio avec la voix d’Antoine Leiris, c’était magnifique!)
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Merci beaucoup Céline! Est-ce que tu écoutes beaucoup de livres en audio? Je n’arrive pas à rester concentrée assez longtemps (je suis plutôt une visuelle!!!)… mais c’est une très belle façon de découvrir un roman
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j’en ai toujours un en cours dans ma voiture, un bon moyen d’occuper mes trajets pour aller au boulot 😉 certains livres prennent une autre dimension en version audio comme celui de Besson ou En attendant Bojangles par exemple mais je comprends ta réticence par rapport à la concentration, il y a des jours où je ne le suis pas du tout et je mets ma lecture en pause quand c’est le cas
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c’est une très bonne idée, les trajets en voiture! il faudra que je m’y mette un jour 😊
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J’ai eu des frissons à te lire tellement je me suis rappelée ce livre … Quel texte, quelle histoire, quels mots. Besson ❤
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Quel compliment Fanny, ça me touche beaucoup. Lorsque j’ai relu des passages en l’écrivant, j’avais moi aussi des frissons, touchée par la beauté des mots, du phrasé, et forcément par l’intensité que transmet Philippe Besson
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Magnifique billet, qui me donne très envie de découvrir ce livre, merci à toi !
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Je te souhaite vraiment de le lire, Christelle! Et merci pour ton mot, on n’a jamais l’impression de rendre assez justice à un livre quand on l’a aimé, alors je suis ravie que mon billet t’ai donné envie de le lire ❤️
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Il est revenu aujourd’hui à la bibliothèque où je travaille, et je l’ai intercepté ! J’ai hâte de le commencer, mais je crois que le nouveau Delphine de Vigan passera en premier 😉
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Ahah 😅il faut faire des choix c’est vrai ! Delphine de Vigan sera mon prochain, on pourra comparer là aussi nos avis!
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eh bien ! tu commences fort l’année mais tant mieux 😉 et il sort en format Poche – il croisera ma route un jour c’est sûr 😉
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j’espère bien, ce serait vraiment dommage que tu passes à côté 😉
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Je vais bientôt le lire, je n’ai encore jamais lu Philippe Besson, mais je vais avoir l’occasion de le rencontrer fin Mars donc c’est l’occasion parfaite de succomber à ce livre dont tu dis tant de bien!
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Quelle chance! Je veux le découvrir davantage, c’était le deuxième roman de lui que je lisais, et j’ai l’impression que celui-ci est vraiment celui qui me permettra de comprendre tous les autres, finalement c’est très très bien de commencer par celui-ci 😉
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