Chanson de la ville silencieuse

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Antoine Schaeffer, chanteur célèbre autant pour ses succès que pour ses frasques, a mis brutalement fin à sa carrière quinze ans plus tôt. Après s’être retranché de nombreuses années dans sa maison cossue perdue au milieu de nulle part, il décide un jour de partir, laissant tout derrière lui… s’est-il jeté dans la rivière pour en finir avec la vie, comme peuvent en laisser présager ses dernières traces, ou a-t-il décidé de larguer les amarres pour un ailleurs, dépouillé du costume encombrant d’Antoine-Schaeffer-le-chanteur?

Sa fille, fruit de ses amours avec une égérie inconsistante de son passé sulfureux, décide de partir à sa recherche: Antoine Schaeffer aurait été aperçu dans les rues de Lisbonne, chantant le soir aux terrasses des restaurants. Narratrice de l’histoire, c’est elle qui va faire revivre à travers ses errements dans Lisbonne et dans sa mémoire, la vie de l’ancienne idole – et livrer en parallèle sa propre histoire, avec les failles d’une enfance qu’elle n’a pas eue.

Comme une midinette, je guette toujours la sortie d’un nouveau roman d’Olivier Adam. Une espèce d’addiction à une atmosphère, à une écriture, à un talent.

Et on retrouve ici les ingrédients majeurs qui font un roman d’Olivier Adam: la fuite, la mélancolie latente et l’écriture chargée en émotions, un phrasé millimétré, accumulatif, saccadé, chargé.

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Ici, l’écrivain offre sa voix à une narratrice. D’elle, on connaîtra la vie, l’enfance qui n’en fut pas une, et qui a fait d’elle ce qu’elle est, une fille transparente, effacée. Tellement effacée qu’elle ne mérite pas de prénom – contrairement à tous les autres personnages du roman. Pourquoi? Pour l’effacer davantage?

Je suis cette fille qui n’a pas besoin d’exister pour vivre. Celle qui tremble quand on l’interroge, qui perd ses moyens devant une assemblée, dont le coeur s’affole quand on s’assoit à ses côtés, qu’on lui adresse un mot ou un simple regard. Celle dans le bus la tête collée contre la vitre, le menton et la bouche cachés dans son écharpe. La fille perdue dans ses livres. Celle qu’on double dans les files d’attente, qu’on bouscule dans les couloirs du métro

En offrant sa voix à cette jeune femme, cette voix que l’on connaît tant, celle dont on se délecte depuis toujours, celle qui est en colère, celle qui dévoile ses souffrance, Olivier Adam me trouble, et même me dérange. Je n’ai pas réussi à faire abstraction de l’écrivain derrière la jeune femme, je n’ai pas réussi à entrer dans le personnage, je n’ai pas réussi à y croire.

L’écriture, souffreteuse et travaillée parfois à l’excès dans des accumulations d’épithètes dont la seule visée semble être l’esthétique du texte, m’a souvent lassée. Le texte m’a donné parfois le sentiment de frôler la caricature – Antoine Schaeffer, même absent, n’est pas seulement un personnage, c’est une caricature. Lorsqu’il côtoie les autres vedettes de son époque, réels eux, on frôle les limites de ma tolérance. En tous les cas, avec moi, ça ne marche pas. Cela ressemble à un doux fantasme , à un rêve adolescent que l’auteur aurait caressé timidement pendant longtemps, et qu’il aurait enfin réalisé.

Cela n’enlève pas les moments de grâce, où j’ai retrouvé, aussi, sur certains passages, l’écrivain qui m’a séduite.

Mais je crois que la magie n’est plus là, faute de renouvellement. La déprime symptomatique des romans d’Olivier Adam devient trop lourde. Etait-ce le roman en trop dans ma culture de fan? Je ne suis même pas sûre, car je foncerais tout autant, vraisemblablement, sur le prochain – et qui sait? On aura peut-être droit à un changement de registre avec un héros sous Prozac qui écrira juste sur les bonheurs simples de la vie…

★ ★ ☆ ☆ ☆

Titre: Chanson de la ville silencieuse

Auteur: Olivier Adam

Editeur: Flammarion

Sortie: 4 janvier 2018

27 réflexions sur “Chanson de la ville silencieuse

  1. Il aura son tour, mais je ne suis pas pressée. J’ai encore Les lisières sous le coude et je n’ai pas encore lu La renverse.

    On retrouve son célèbre Antoine, donc 🙂

    J’imagine ta déception si tu y trouves un manque de renouveau, surtout si tu l’apprécies beaucoup… C’est dommage et en même temps, c’est ce qui fait sa particularité.

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  2. Bon, alors, par où commencer ? 🙂
    On retrouve son style, c’est certain, et on y est toutes les deux visiblement sensibles. Autant La renverse ne m’avait pas convaincue, autant, ici, j’ai vraiment retrouvé Le Adam que j’apprécie.

    Quand tu dis que tu n’as pas réussi à faire abstraction de l’écrivain derrière la jeune femme, tu as mille fois raison. Moi non plus ! C’est que je suis persuadée qu’il parle beaucoup de lui lorsqu’il dépeint son héroïne ainsi que son père.

    Enfin, noir, il l’est, c’est certain. Ce n’est pas demain la veille qu’on découvrira un héros d’Adam faisant la fête jusqu’au bout de la nuit ! Mais je l’ai trouvé beaucoup plus apaisé ici. Et à la fin, sa vision de la ville m’a semblé témoigner d’une forme de réconciliation avec le monde.
    Bref, comme tu le sais, j’ai beaucoup aimé.
    Rendez-vous pour son prochain 😉

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    1. Cette fin effectivement ouvre sur quelque chose d’apaisé et plus lumineux. Et il était temps 😉
      Nous lecteurs savons bien qu’il n’est question que de lui dans ses romans, et cette ultra-sensibilité me semble parfois inquiétante, surtout quand je l’écoute en interview. J’aimerais vraiment qu’il puisse passer à autre chose, mais je ne l’imagine dans aucun autre registre, si je réfléchis bien… ou peut-être partir sur les pas d’un Sylvain Tesson, seul, au bout du monde, pour nous offrir le livre de la mise à nu complète, où il n’aura plus besoin de ses personnages pour parler de lui?
      oui, on se donne rendez-vous au prochain, évidemment 😉

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  3. Le lirai-je oui! Parce que comme toi dès que j’entends Olivier Adam, je cours… Même si ses romans m’ont profondément déprimés ( faut dire que je les enchainais les uns à la suite des autres!).
    J’ai toujours Les Lisières chez moi…

    J’espère avoir un avis plus positif que le tien 😉

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