Les Orphée

FullSizeRender

D’Eric Metzger, nous connaissons surtout les pitreries télévisuelles – clown de la parodie et du croquignolesque. Et si c’était le vrai Eric Metzger qui se dévoilait ici, laissant tomber le masque de l’auguste?

Pourtant, Les Orphée commence comme une farce : imaginons plutôt Louis, un trentenaire parisien, célibataire. Lors d’une promenade dominicale, il déniche chez un brocanteur de la rue de Bretagne (oui, Louis est un type un peu bobo de l’Est parisien) un téléphone vintage marron, à cadran – en parfait état de marche, lui assure le vendeur. Effectivement, aussi surprenant soit-il, une tonalité se fait entendre lorsque Louis le branche, de retour chez lui. Sauf que, rapidement, de façon inattendue, Louis remarque que ce téléphone a le pouvoir de le faire entrer en communication avec son passé – cette découverte, inouïe, à laquelle son entourage ne porte aucun crédit, bouscule bientôt les journées de Louis. Car, à travers ce téléphone, il peut entrer en contact avec son père, qu’il a perdu vingt ans plus tôt. Et s’il avait le pouvoir de changer le cours des choses et empêcher la mort de son père?

La nuit, Orphée est un jeune homme qui arpente les soirées parisiennes – Souvenez-vous d’Orphée le musicien qui du son de sa lyre endort tout autour de lui, jusqu’à triompher des sirènes lors du voyage des Argonautes, Orphée qui ira rechercher aux enfers sa douce Eurydice tuée d’une morsure de serpent et à peine sauvée, ne pourra résister à se retourner pour voir si elle le suit, la perdant à jamais… Notre Orphée 2.0, lui, navigue dans la nuit, cercle après cercle, accompagné de Virgile le poète, pour mieux plonger dans les enfers à la recherche d’une Eurydice providentielle. Où est-elle, cette jeune femme qu’il ne connaît pas encore mais recherche désespérément, dans ces soirées  embrumées de vapeurs d’alcool? Lequel d’Orphée ou d’Eurydice doit sauver l’autre?

L’alcool rend colérique, ce sont toujours les mêmes qui titubent à la recherche d’un combat qu’ils perdront de toute façon. Mais ça, ils ne le comprendront que le lendemain, l’oeil beurré, la lèvre gonflée et la honte qui les glacera jusqu’au bout des pieds. Avant, comme eux, Orphée se bagarrait. Il n’était pas encore Orphée d’ailleurs, pas même un Argonaute, juste une mouche du coche. Maintenant qu’il s’appelle Orphée, il ne se bat plus contre les autres. Orphée ne s’abaisse pas à ça! Orphée préfère s’attaquer à lui même, il y a plus de panache à le faire!

 

photo-1508517911809-9fb266784e95

Pas facile d’explorer le thème de la machine à remonter le temps – l’histoire n’est pas nouvelle, elle a fait les beaux jours d’un cinéma qui remplissait les premières parties de soirée ou d’un genre littéraire aux pages qui ont bien jauni, mais Eric Metzger a l’heur de lui apporter le renouveau de son oeil trentenaire et de nous prendre au jeu de son histoire, pas dénuée d’émotion dans cette quête désespérée de faire revenir un père trop vite parti.

Mais il remonte l’histoire plus loin encore en revisitant la mythologie grecque (convoquant au détour dans le grand bal des nuits blanches et alcoolisées les Hadès, Cerbère, Charon et autres Erinyes des temps moderne – et qu’est-ce qu’il s’y prend bien!) dépoussiérant chemin faisant le mythe d’Orphée. Il fallait oser quand même, car qui la mythologie intéresse-t-elle encore en dehors des nostalgiques des cours de grec ancien? Oui, Orphée peut aussi être un anti-héros moderne désabusé, mais également romantique, à la recherche de son Eurydice, son idéal féminin absolu. Le plus délicieux étant, sans rien vous dévoiler, la réinterprétation libre des intentions d’Orphée, qui peut-être n’a fait que sauver Eurydice (et lui-même au passage!) le jour où il s’est retourné sur elle dans les Enfers, la perdant à jamais…

Les Orphée est un roman qui m’a agréablement surprise, entremêlant habilement les histoires de Louis, animal diurne, et Orphée, animal nocturne, jusqu’à la fatalité.

Vous l’aurez deviné, il n’est pas question d’humour ici (ce qui m’arrange, car l’humour, ce n’est pas la première chose que je recherche en littérature). Le clown  (Eric la figure publique d’une émission télévisée qu’on ne nomme plus) a laissé tomber le masque, et nous offre sa part sombre dans un conte cruel, où à force de courir après des chimères, c’est la folie qui rattrape le héros.

Bien sûr, Eric Metzger ne peut s’empêcher d’être drôle, dans son rôle, mais on a surtout le sentiment d’une vraie mise à nu dans ce roman. Derrière son humour, il cache une pudeur qui lui sied vraiment bien.

Titre: Les Orphée

Auteur: Eric Metzger

Editeur: Gallimard (collection L’Arpenteur)

Parution: 8 février 2018

 

6 réflexions sur “Les Orphée

Laisser un commentaire