Midwinter

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Landyn Midwinter et son fils Vale habitent une ferme sur les terres du Suffolk, terres éprouvées par de rudes conditions climatiques qui trop souvent ont mis à mal les récoltes de la famille.

Dix ans plus tôt, alors qu’il ne voulait pas céder ses terres à la culture pour de plus grands que lui, ruiné, Landyn est parti avec femme et enfant en Zambie, recommencer une autre vie, dans une autre ferme. Mais un drame s’est joué, Landyn et Vale sont rentrés veuf et orphelin, blessés à jamais et envahis par les non-dits qu’il y a entre eux, insurmontables.

A la faveur d’une période où Vale se questionne à nouveau sur la mort terrible de sa mère, l’impossibilité d’un dialogue entre le jeune homme de vingt ans et son père vieillissant se cristallise, chargée par le poids de la culpabilité et par l’absence de la femme chérie et de la mère tendrement aimée.

Moi j’étais tout le temps en colère, mais lui avait surtout l’air d’un animal débile qui attend sur la route qu’on l’écrase en croyant que ça va lui épargner la douleur de vivre

Enfoncé dans un ressentiment profond, alors qu’il doit en plus affronter sa propre culpabilité dans l’accident en mer qui vient de blesser grièvement son meilleur ami et frère de coeur Tom, Vale est un jeune homme perdu, mal dans sa peau, et de plus en plus désespéré.

Landyn, dans sa solitude, se raccroche à la terre pour laquelle il a tant sacrifié, et se réfugie dans son amour des bêtes – notamment celui d’une magnifique renarde qui rôde tout près, et qu’il considère comme l’esprit de sa femme qui continue à veiller sur lui et son fils…

J’ai vu ma renarde ce soir, fiston. Tu te rappelles l’année où j’ai dû lui laisser à manger, pauvre bête? Je sais qu’elle me connaît. Elle est apparue dans la nuit et m’a regardée droit dans les yeux. Elle était venue vérifier qu’on allait bien. Si belle.

(…)

Il était sur le point de se racler un peu la gorge. Mais il n’a pas relevé la tête. « C’est pas elle, tu le sais

– Qu’est-ce que tu dis? » J’ai dû me pencher en avant pour l’entendre.

– «C’est pas elle. C’est juste une renarde.»

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photo @vics_pics

 

Midwinter fait partie de ces romans qui vous absorbent tout entier, qui parlent à votre coeur, à votre âme.

Dans ce premier roman, Fiona Rose nous fait évoluer dans un paysage rude, celui des tempêtes du Suffolk – et c’est d’ailleurs sur le stupide mais terrible accident en mer de Vale et Tom, dont la description si réaliste nous glace d’effroi, que s’ouvre le roman.

Tour à tour, Vale et son père, Pa Landyn, racontent l’histoire, à la première personne, de leur point de vue. C’est un univers d’hommes, où l’on côtoie des hommes de terroir rudes, mais souvent bienveillants. L’amitié y sauve les âmes, entre deux bières. Ou plus – car l’alcool y est un art de vivre (tels les surnommés frères Domino – si on en bouscule un, ils tombent tous), ou une réponse au désespoir de l’ennui, de la vie.

Ces amitiés masculines sont touchantes dans leurs manières fraternelles et bourrues, à l’instar de celle qui lie Vale à Tom ou Landyn à Dobbler ou aux frères Domino. Il y a beaucoup de sensibilité, malgré l’atmosphère sombre du drame, illuminée par une langue qui sait se faire poétique et onirique.

Dans cet univers d’hommes, c’est sous la forme d’une chevelure rousse, flamboyante comme le pelage vif de la renarde de Landyn, que les femmes apparaissent – traces d’un rêve douloureux pour Landyn, ou peut-être promesse d’un bonheur à venir pour Vale.

On n’est pas hanté par ce qui nous fait peur, mais par ce qu’on désire. Si on n’est pas attiré par la chose qui nous poursuit, alors ça reste une chose, ou une personne, ou une renarde, peut-être, et qui ne signifie rien de plus. Ce qu’une apparition représente, c’est le désir qu’on a pour quelqu’un dans une forme autour de laquelle on peut enrouler son cerveau. Alors, on autorise la chose qui nous hante à s’installer en nous et la magie opère. Un moment comme celui que j’avais connu avec ma renarde, quand au lieu que ce soit elle qui me hante ou qui me chasse, c’est moi qui me suis lancé à ses trousses. Où que j’aille, je la guettais, je croyais apercevoir sa queue, je suivais ses traces dans la boue près de la menthe aquatique, et je l’avais observée avec ses petits lors de cette soirée embrasée. On se met à chercher la chose qui nous a tellement terrifiés. Pas seulement la renarde. Je sais que la mère du garçon le hantait aussi. Qu’il la cherchait partout, qu’il s’imprégnait du moindre mot la concernant

Ode à la nature dans tout ce qu’elle a de plus sauvage, ode au règne animal qui domine les hommes, Midwinter porte le sceau d’un roman naturaliste sublime et très évocateur.

J’ai été profondément émue par ces hommes, père, fils, amis, par leurs souffrances, par leur quête de réponses, mais aussi par l’espoir que l’on sait poindre à l’horizon. Vous l’aurez deviné, Midwinter est un énorme coup de coeur, une lecture envoutante et très sensible.

Fionna Melrose est née à Johannesburg. Elle a vécu Londres et dans le Suffolk et continue de vivre entre l’Afrique du Sud et l’Angleterre. Midwinter a été sélectionné pour le Baileys Women’s Prize for Fiction 2017. Johannesburg, son deuxième roman, vient de paraître en Angleterre – je serai au rendez-vous pour sa sortie en France.

Mention spéciale à Edith Soonckindt pour la traduction de ce roman en français.

★ ★ ★ ★ ★

Titre: Midwinter

Auteur: Fiona Melrose

Editeur: Editions de la Table Ronde (Quai Voltaire)

Parution: 8 février 2018

12 réflexions sur “Midwinter

  1. La dernière fois que tu as parlé en ces termes d’un roman, c’était pour Le Jour d’avant de Chalandon et il m’avait beaucoup plu!

    Ce n’est pas le genre de romans vers lequel je me serais dirigée à priori, mais ça cache parfois bien des surprises. Si ce n’est cette couverture… j’adore!!!

    Donc… tu m’intrigues énormément! C’est ta/ton libraire qui te l’a conseillé? (j’aime savoir comment un livre arrive entre les mains des lecteurs-trices) 😀

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    1. Pas du tout! Je suis comme toi, j’ai remarqué cette couverture, tout simplement. Et j’ai su qu’il y avait quelque chose derrière – parce que je suis très rarement déçue par cet éditeur. Je crois que c’est toi qui me demandais la dernière fois pourquoi j’aimais Stock? J’aime cette collection Quai Voltaire des Editions de la Table Ronde pour les mêmes raisons – les choix éditoriaux correspondent très souvent à mes goûts romanesques 🙂

      Aimé par 1 personne

      1. Oui c’est bien moi 😉 Tu me donnes envie de faire plus ample connaissance avec ces maisons d’édition que je connais très peu. Grâce à toi j’ai lu « La vie rêvée de Virginia Fly », mais il ne m’a pas laissé un souvenir impérissable.

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