Il y a une règle, pense-t-elle, une règle que la vie t’a enseignée, que Martin t’a enseignée, cette règle c’est que toutes les petites moules aux cuisses humides comme toi ont ce qu’elles méritent
Qu’est-ce qu’on peut savoir de la vie, à quatorze ans, quand on vit seule avec son père dans une maison délabrée sur une colline isolée?
Qu’est-ce qu’on peut savoir de l’amour, à quatorze ans, quand la personne qui vous aime le plus, votre père, est aussi celle qui vous fait le plus de mal?
Dans une vieille maison en bardeaux de bois infiltrée par le sumac, les rosiers sauvages et par les balles tirées à bout portant, en haut d’une colline qui domine la côte sauvage du nord de la Californie, Turtle vit seule avec son père.
Depuis que la mère de Turtle est morte, lorsqu’elle était petite, Martin a déployé tout son amour sur sa fille, mais aussi sa toute puissance et sa folie dévastatrice. En rupture complète avec la société, Martin se prépare à la fin du monde, qu’il croit proche, et entraîne Turtle, telle une guerrière, à se battre pour survivre, dans leur maison remplie d’armes à feu. A quatorze ans, Turtle est rompue à l’utilisation des différents calibres, monte et démonte méthodiquement son arme préférée qui la quitte rarement. Dans cette vie en autarcie, Martin coupe Turtle de ce monde qu’il juge malveillant.
Mais tous les matins, dans un rythme immuable, père et fille se retrouvent dans la cuisine, Turtle gobe un oeuf cru attrapé dans le frigo, lance une bière à Martin en guise de petit déjeuner, puis le père accompagne sa fille au bout de l’allée jusqu’à l’arrêt de bus pour le collège, où elle lui dit comme chaque matin « tu n’es pas obligé de m’accompagner tu sais ».
La vie de Martin et Turtle est faite de rites improbables qui débordent du cadre de la normalité. Martin fait osciller la vie de sa fille entre amour infini et violence insoutenable, Martin aime de façon aussi folle qu’il maltraite, Martin est un monstre qui fait endosser tous les rôles à sa Turtle, fille, femme, amante, assouvissant ses pulsions sexuelles
Comment savoir, à quatorze ans, ce qui est bien ou mal, si l’amour fou de ce père est normal, comment comprendre qu’on n’est pas responsable de cette ambiguïté, qui parfois même donne un plaisir coupable, comment savoir que cette chose qui vous domine s’appelle l’emprise?
Son refuge, Turtle le trouve dans la forêt, qu’elle arpente accompagnée de son expérience intuitive de la nature, dans une communion sublimée. Dans cette nature parfois hostile, Turtle sait survivre, se nourrissant des plantes et des insectes, gagnant ainsi son espace de liberté. Le jour où elle y rencontre Jacob et Brett, deux lycéens, c’est une porte qui s’ entrouvre. Mais avec Martin qui veille, qui punit, qui brutalise au moindre écart, Turtle pourra-t-elle saisir cette chance ou le point de non retour est-il déjà atteint?
Voici une lecture qui secoue. Vraiment. Pas pour vous distraire, pas pour vous amuser. Mais pour vous remuer profondément, vous heurter parfois, vous donner la nausée aussi. Rarement la lecture a la puissance nécessaire pour faire ressentir d’une façon aussi physique la violence, pour susciter aussi viscéralement le dégoût. Surtout quand on sait qu’on a dans les mains un objet littéraire d’une qualité percutante où l’auteur se fait aussi le digne représentant du nature writing.
La relation malsaine et incestueuse qui unit le père à sa fille est au coeur du roman et malmène le lecteur, partagé entre le charisme et la folie de l’homme et le consentement de sa fille, qui souvent interroge. Amour démesuré et confus? Soumission? Victime de l’emprise paternelle? Tout n’est pas aussi limpide dans My absolute Darling, Turtle n’est pas une simple victime, elle est bien plus que cela, jeune femme en devenir qui se hait mais qui veut aimer, guerrière entraînée pour survivre en tuant s’il le faut, jeune fille sensible avilie par la perversité destructrice du père. Turtle est une héroïne qui vous chavire.
La tristesse a trouvé des recoins entiers d’elle-même dont elle ne soupçonnait pas l’existence
Si je devais rapprocher My absolute darling d’un autre roman, ce serait de Sukkwan Island par sa façon de vous prendre littéralement aux tripes et de vous mettre en colère et par le parallèle de la relation toxiquement folle et destructrice des pères. Un malaise semblable s’empare de vous.
Vous l’avez compris, My absolute darling n’est en rien une lecture anodine qu’on oublie sitôt le livre refermé, c’est une lecture qui peut choquer, déranger, donner envie de vomir ses tripes, une lecture sur laquelle on peut buter, qu’on ne peut pas forcément conseiller à sa meilleure copine. Mais c’est une expérience littéraire puissamment renversante.
★ ★ ★ ★ ☆
Titre: My absolute darling
Auteur: Gabriel Tallent
Editeur: Gallmeister
Parution: mars 2018
La première citation fait froid dans le dos! Ça attire et repousse en même temps c’est vraiment particulier, je pense que si je l’avais dans ma pal je serais obligée de le lire.. j’attends donc qu’on me l’offre 😂
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Oui, c’est plus sage! Et vu ton récent traumatisme livresque, je pense qu’il est raisonnable d’attendre… que tes filles grandissent un peu, par exemple 😉
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Je termine LaRose et je passe à l’attaque!
Ta comparaison avec le roman de David Vann a tout pour me ravir! C’est inquiétant, non?!
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ah oui, tu me fais presque peur, là 😂
j’en suis ressortie tout de même moins traumatisée que de ma lecture de Sukkwan Island, où aucun espoir n’est permis. Alors qu’ici, eh bien, on peut envisager quelque chose d’autre, de plus lumineux…
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Plus je le vois plus il m’intrigue… je le lirai, pas tout de suite, j’attendrai sa sortie en poche .
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il m’attend et je compte bien le lire très vite!
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j’attends ton avis avec impatience!
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J’ai vraiment très, très envie de le lire, par contre je reste traumatisée par Sukkwan Island, du coup… je sais plus :-)))
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My absolute darling, même si c’est un récit terrifiant, a une certaine forme de délicatesse dont était totalement dénué Sukkwan Island. J’ai été également traumatisée par ce livre. C’est dans l’idée que les deux romans se rejoignent, dans ce que les pères infligent à leurs enfants et qui est pour moi juste révoltant, inimaginable.
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Bien que je fasse un parallèle, j’en ressors quand même beaucoup moins traumatisée que de Sukkwan Island. Il y a une lumière dans My absolute darling, alors que David Vann n’écrit que de la noirceur.
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J’ai beaucoup aimé Sukkwan Island si tant est qu’on puisse « aimer » ce genre de livre, celui-ci me rend curieuse mais je pense que les dérives sexuelles me mettront davantage mal à l’aise…
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Gabriel Tallent n’a pas écrit uniquement sur ces dérives. C’est là sa force… même si, bien évidemment, cela instaure toujours un malaise profond.
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Ca y’est j’ai enfin pu te lire parce que j’ai enfin réussi à rédiger et publier la mienne tellement cette lecture m’a secouée !
Nous sommes bien d’accord.
Je note pour « Sukkwan Island ». Toi qui connaît bien la littérature américaine, quels livres me conseilles-tu ?
Des bisousssssssssssssss
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Je te préparerai une petite liste 😉
je file également te lire, j’ai du retard dans mes visites de blog!
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