Idaho

 

 

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Ces derniers mois, pour diverses raisons, j’ai beaucoup négligé la littérature américaine.

J’avais une sorte de manque.

Alors j’ai laissé tombé les promesses de la rentrée littéraire, et j’ai soigneusement sélectionné les ingrédients pour ce petit retour en littérature américaine: 1/ une écrivaine 2/ du nature writing 3/ de la sauce Gallmeister. Et j’ai attaqué, en salivant.

Surprise, je me suis retrouvée dès la première page en 2004 – j’ai vérifié la quatrième de couverture, je pensais commencer l’histoire en 1995, là où elle était sensée démarrer, par une chaude journée estivale et bucolique qui se termine en cauchemar. Une histoire dramatique qui porte le récit et tisse la toile du roman, une toile sur laquelle il rebondit, toujours, tout au long des 358 pages.

En cette journée aoutienne, donc, dans une contrée sauvage de l’Idaho, une famille ordinaire – le père, la mère et ses deux petites filles, s’embarque à bord de son pick up pour aller chercher du bois dans une clairière.

Comment ce moment, doux et joyeux, peut-il soudainement tourner au drame?

Comment la machette que Jenny, apparemment épouse et mère sans histoire, peut-elle s’abattre sur May, la plus jeune de ses filles et la tuer?

Qu’est devenue June, l’aînée des fillettes, qui s’est enfuie face au drame, et qu’on n’a plus jamais revue?

C’est ce qu’Ann, la nouvelle épouse de Wade, le père, cherche inlassablement à comprendre, tandis qu’en cette année 2004, neuf ans après le drame, la mémoire de Wade fiche le camp, comme elle a lâché son père et son grand-père avant lui.

Pendant ce temps, Jenny purge humblement sa peine, condamnée à perpétuité, silencieuse.

Le récit entame alors des allers retours, 2008, 1995, 2006, 1999, 1973, 1995, 2009 – je continue? Je vous propose d’aller jusqu’en 2025.

Il m’en faut peu pour être étourdie, autant vous dire que je me suis sentie ballottée comme une toupie. Mais j’ai tenu bon, cherchant toujours à garder l’équilibre, car des questions, j’en avais plein.

Enfin, j’en avais au moins deux. Je suis plutôt cartésienne (même si je l’avoue j’ai une grande tendance à la rêverie – mais c’est compatible, non?), alors j’ai besoin, souvent, de clarté, de faits, de précision. Et de réponses à mes questions.

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Et croyez-vous que je les ai eues, mes réponses? Je vous laisse lire le livre, et vous saurez!!!

En toute franchise, le roman m’a paru terriblement long. Et j’ai beaucoup tergiversé pendant ma lecture en me demandant régulièrement: j’aime? J’aime pas? C’est quand la fin? Mais je suis restée suffisamment curieuse pour tenir jusqu’au bout…

Emily Ruskovich a écrit un roman ambitieux, à la construction difficile et déroutante.

Mais elle y a mis beaucoup de foi, d’amour, que ce soit dans les descriptions de la nature sauvage de son Idaho natal ou dans ses personnages, qu’elle sait rendre particulièrement vivants – même quand ils sont morts.

Les sensations qu’elle retranscrit sont très fortes, comme cette odeur incommodante et complexante de stress que porte June sur elle sans pouvoir s’en débarrasser, ou l’odeur non seulement olfactive mais aussi visuelle d’un oreiller taché par le gras des cheveux de Wade alors qu’il était encore un jeune homme.

C’est une pensée et ce n’est pas une pensée. C’est la tension d’éléments qu’on frotte et qu’on déplace: la chaleur, le crépitement des broussailles, la fatigue de ses bras, le trajet sans fin rythmé par les nids-de-poule, la route de terre défoncée qui les secoue et le cogne contre les vitres du pick-up, les fissures qui se forment alors qu’ils ne peuvent pas sentir, les bûches qui s’entrechoquent sur le plateau du pick up, les toiles d’araignée et les coupures sur les jambes aussi fines que des toiles d’araignée, les gouttes de sueur qui piquent les pores ouverts de la peau, les minuscules piqûres de taons, l’air qui s’amenuise entre elle et sa fille à l’arrière, une pensée et pas une pensée: Avec quelle facilité nous craquons! Avec quelle rapidité quelqu’un peut pénétrer à travers des fissures dont nous ignorons l’existence jusqu’à ce que cet élément étranger se retrouve en nous! Nous ne doutons pas à quel point nous sommes perméables.

Il y a comme quelque chose de suspendu, une fragilité qui affleure tout au long du roman, comme les non-dits de l’histoire, comme l’amour qui unit Ann à Wade et qui subit la démence précoce de ce dernier, comme cette volonté absolue de ne pas vouloir laisser le drame s’échapper et de le réinventer avec des souvenirs qu’elle construit. Il y a quelque chose de troublant avec cette mémoire qui convoque les esprits et les traces, à travers des souvenirs fictifs qu’elle s’accapare.

Le rythme est lent, alors qu’en permanence le lecteur tendu attend les révélations auxquelles il est en droit de prétendre…

L’écriture d’Emily Ruskovich est exigeante, subtile, analytique, introspective et tout à la fois généreuse.

Elle est à n’en pas douter une écrivaine de talent. Et si je n’ai pas été emportée par ce premier roman, la délicatesse inscrite dans ces pages est le début d’une promesse vers quelque chose de  grand, sauvage et impétueux, comme la beauté de l’Idaho.

Titre: Idaho (Idaho)

Auteur: Emily Ruskovich

Editeur: Gallmeister

Parution: 2018

12 réflexions sur “Idaho

  1. C’est marrant.. les premiers avis sur ce livre étaient dithyrambiques « chef-d’oeuvre », « monumental » etc… et maintenant les avis divergent. Comme pour « Absolute Darling » en somme…
    Franchement, je ne crois pas que je vais tenter cette lecture! En tout cas, pas pour le moment. J’ai mon « Mon désir le plus ardent » qui m’attend et je vais le déguster!

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  2. Mon billet sera publié dans 2 jours…j’ai trouvé ce livre très beau, malheureusement la fin m’a beaucoup frustrée! comme toi j’ai besoin de réponses à mes questions, et je regrette vraiment que l’auteure ait fait le choix de laisser ces 2 fameuses questions sans réponse…

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  3. je le confonds avec « Idaho » d’Andria Williams – j’attendrais comme pour celui de Jean Hegland (que j’ai finalement beaucoup aimé) on en reparle en septembre de vive voix !

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