Simple

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La Corse. Les odeurs du thym et de la marjolaine sauvage imprègnent immédiatement les pages. La lumière crue du soleil les éclaire. 

C’est un village posé au milieu de nulle part, entouré de maquis, de cailloux, d’une forêt et d’un lac. 

Un petit village avec son église, son cimetière, son bar, son épicerie. Et son fou – Il s’appelle Antoine, on l’appelle Anto, mais le plus souvent, c’est le baoul. 

Au village, il connaît tout le monde, mais il n’a pas d’ami. Enfin, plus maintenant. 

Il parle aux objets qu’il entasse dans sa cabane, comme les mots du dictionnaire qu’il collectionne.

A cette chaise cassée, qu’il vient de trouver, jetée au rebut, il va raconter sa vie en la promenant à travers le village. Comment il a tué sa mère en venant au monde. Comme il s’est senti seul quand madame Madeleine, l’institutrice qui a pris le gamin sale et cabossé sous son aile, est morte à son tour. Comment il s’est fait sa place au village, même quand on le traitait de débile ou de putois. Comment il s’est lié d’amitié avec Florence Biancarelli, la plus belle fille du village. Et comment il a pris quinze ans pour son meurtre. Qu’il n’a pas commis. 

Je pourrais vous raconter l’histoire, mais Julie Estève l’a fait beaucoup mieux que je ne le ferais, moi.

J’ai juste envie, de vous parler de mon émotion, qui n’est pas née de ma seule empathie pour ce personnage, mais également de la façon si juste, si sensible et tellement poétique avec laquelle l’auteure traite son sujet.

J’ai envie de vous parler de ce langage qu’elle a inventé pour faire parler Antoine, de ce rythme qui scande son histoire. 

Va chercher des cailloux! ils disaient

– Combien? Je demandais.

– Mille, ô baoul! Ils disaient.

Je passais les samedis et les dimanches à les compter. Alors me suis foutu à les regarder de près. Y en avait qui étaient plats, qui étaient ronds, ou ovales, ou bizarres, mais jamais y en avait des carrés. Ils étaient uniques, pas un comme un autre, exactement pareils que nous, les personnes. Y en avait des blancs, noirs, verts, gris, y en avait avec des dessins, des spirales, des griffures, plein de points. Y en avait aussi avec du lichen jaune dessus et on aurait dit que les cailloux ils étaient rouillés! Ils vivaient sous les arbres, près de la rivière, au bord des chemins, peinards!

– Mon rêve, c’est être un caillou, je dis à ma chaise.

Si j’étais un caillou, j’aurais une belle situation et pas de noeuds dans le ventre

Un langage dans lequel l’auteure a tordu le cou à la syntaxe pour qu’il fasse corps avec Antoine, faisant ressortir au plus juste son intelligence sensible et l’innocence de son humour. 

Moi j’étais au fond derrière, à côté du Saint Sébastien troué par les flèches. J’ai applaudi pour les féliciter et j’ai crié Alleluia! Amen! Agneau pascal! Vade retro et hérésie! Qui sont des mots d’église. Tout le monde s’est retourné en mâchant des phrases et j’ai souri avec les dents. Le curé, il a commencé à chanter hosanna au plus haut des cieux pour animer sa messe, puis il a envoyé un enfant en robe faire la quête à sa place pour être bien payé. Dans la corbeille en osier, j’ai dépensé des cailloux pour participer au même titre que les autres.

Julie Estève réussit, dans un glissement empathique, à faire entrer son lecteur dans le personnage d’Antoine.

On sent une profonde tendresse de l’auteure pour son personnage, et on imagine le déchirement qu’a été, pour elle, la fin qu’elle a donné à son roman, que l’on reçoit comme une claque.

J’ai envie de vous dire comment cette Corse secrète, silencieuse, minérale et organique qui affleure tout au long du récit a réveillé avec une vive acuité les souvenirs de l’île que j’avais gardés au fond de moi.

J’ai envie de vous dire, tout simplement, que Simple est un coup de coeur, un coup AU coeur.

Julie Estève a écrit un roman qui est tout, sauf simple. C’est un livre d’une grande profondeur et d’une vraie puissance littéraire et romanesque, dont l’intrigue, rondement menée, réussit la prouesse de garder toute sa surprise jusqu’à la dernière page.

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Titre: Simple

Auteur: Julie Estève

Editeur: Stock

Parution: Août 2018

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