Les amants du Lutetia

photo du livre Les amants du Lutetia d'Emilie Frèche

Pour nous, l’histoire était terminée.
Mais ne soyez pas tristes. 
Nous avons eu une vie magnifique

Le 1er septembre 2018, Eléonore Kerr reçoit un appel de la police: les corps sans vie de ses parents ont été retrouvés dans une chambre du Lutetia. Apprêtés comme pour une des nombreuses soirées qu’ils ont organisées, endormis sur le lit pour l’éternité, ils ont orchestré leur suicide. 

Sidérée, Eléonore découvre qu’ils ont préparé leur disparition comme un projet, mieux, comme une de ces campagnes publicitaires dont ils avaient le secret. Ils ont mis en scène leur mort et leurs funérailles, faisant place nette, effaçant toute trace de leur passage, rendant le deuil de leur fille impossible. 

Ezra et Maud, duo inséparable, fusionnel, partis de rien, avaient monté leur agence de publicité dans les années 1970 et s’étaient enrichis en montant les plus brillantes campagnes. La jetset se retrouvait l’été dans leur maison de Ramatuelle, les Bulles. Plus qu’un incroyable projet architectural, les Bulles étaient leur projet de vie commune, qui reléguait Eléonore au rang d’enfant non désirée. 

A travers cette maison, c’est l’impossibilité du deuil qui se cristallise. C’est aux Bulles qu’ont eu lieu les plus forts moments de vie et de souffrance, et c’est à travers elle, encore et toujours, qu’Ezra et Maud catalysent le ressentiment d’Eléonore.

Quel que soit le lieu où j’avais vécu, je n’avais pas réussi à prendre racine. Mes parents, eux, avaient été arrachés aux leurs, et ils avaient réussi cet exploit, ils s’étaient rempotés aux Bulles. Mais ce qu’on réussit pour soi, comment le transmettre à ses enfants?
maison bulle

Tandis que son fils Simon glorifie l’acte de ses grands-parents et milite pour le droit de mourir dans la dignité, Eléonore ne peut se défaire du sentiment d’abandon, mais aussi de manipulation que constitue l’acte de ses parents. S’enfonçant dans une dépression qui la coupe peu à peu de son fils, Eléonore devra retrouver sa place dans l’histoire de ses parents – et pour cela, remonter les soixante-dix ans d’histoire commune de ces deux enfants juifs qui ont perdu leur famille pendant la seconde guerre mondiale.

Dans ce roman à la construction d’une grand maîtrise, où croquis, articles de journaux, posts Instagram, photos et autres correspondances entrelacent les chapitres, Emilie Frèche interroge les racines et la filiation, et pose des pièces sur l’échiquier d’un des débats incontournables et nécessaires de notre société: celui de la fin de vie et du droit de mourir dans la dignité. 

Tandis qu’Eléonore affronte le suicide de ses parents, son ex-mari Vincent assiste impuissant à la chute de sa mère dans les abysses alzheimeriennes, rongé par la culpabilité d’avoir dû la placer en Ehpad. Ce sont des pages particulièrement touchantes par la vérité criante qui s’en dégage (ceux qui savent, savent) et offrent matière, bien évidemment, au débat. Pour autant, il n’y a aucun pathos, le récit reste digne, élégant, jusque dans ses dernières pages où Emilie Frèche offre à Eléonore la possibilité lumineuse de la reconstruction.

S’inspirant d’un fait divers de 2013, le roman est une oeuvre de fiction à laquelle sa forme donne une véracité troublante, en faisant une histoire haletante qui questionne son lecteur en profondeur.

Titre: Les amants du Lutetia

Auteur: Emilie Frèche

Editeur: Albin Michel

Parution: août 2023

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