L’invitée

photo du livre L'invitée d'Emma Cline

Revoici Emma Cline dans toute sa troublante splendeur, la plume aiguisée pour mieux trancher à vif dans le plat des eaux tranquilles de Long Island.

C’est à travers un de ces personnages dérangeants dont elle a le secret que le malaise éclot dès les premières pages: Alex, une jeune femme de 22 ans, s’est posée le temps d’un été dans la maison de Simon, se laissant entretenir par cet homme distant en échange de sa présence silencieuse et de ses faveurs sexuelles. 

Alex représentait une sorte de meuble social inerte: seule sa présence était requise, aux dimensions et aux formes d’une jeune femme

Elle a fui New York, virée d’une colocation dont elle ne payait pas le loyer, et harcelée par un certain Dom, client qu’elle a escroqué.

Jour après jour, Alex erre entre la plage et la maison de Simon, revêt les robes précieuses qu’il lui a offertes, jusqu’à cette soirée où elle commet un faux pas. Alex est renvoyée sans appel, raccompagnée à la gare où elle prendra le prochain train pour New York. 

Mais à quoi bon rentrer, puisqu’elle n’a plus de toit, et aucune perspective?

Alors Alex décide de rester jusqu’au Labour Day, dans cinq jours – elle compte bien assister à la fête que donnera Simon, persuadée qu’il sera heureux de la revoir.

Pendant cinq jours, dans un compte à rebours vers cette soirée, elle va errer avec un objectif: où dormir?

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Daddy

Daddy
Emma Cline

Emma Cline fut un véritable coup de foudre littéraire lorsque son premier roman, « The Girls » (La Table Ronde, 2016), est sorti.

Dernièrement, nous l’avions retrouvée après cinq longues années de silence littéraire, avec le roman « Harvey » – si le roman était particulièrement incisif et déroutant, on n’y retrouvait pourtant pas l’écriture si particulière qui avait donné cette voix à « The Girls ».

C’est cette voix que j’ai recherchée dans Daddy, une série de dix nouvelles, comme des Polaroïds saisis sur le vif.

A travers ses nouvelles, Emma Cline nous fait entrer subrepticement par des brèches dans les vies de ses personnages, dont on saisit de brefs moments avant de devoir ressortir, les laissant à leur histoire – un peu frustrés parfois de la chute.

Dans la plupart des nouvelles, le ton à la fois mordant et désabusé des personnages m’a plus évoqué « Harvey » que « The Girls », et ce particulièrement lorsque les personnages de la nouvelle sont des hommes, souvent rendus (volontairement?) assez antipathiques.

Est-ce pour cette raison que j’ai plus apprécié les nouvelles où les personnages féminins sont au premier plan, et préféré Marion et A/S/L, où l’on approche davantage l’atmosphère de « The Girls »?

Ces nouvelles, si elles confirment une nouvelle fois le talent indéniable et la maturité littéraire d’Emma Cline, me laissent un léger goût de déception. On ressent derrière ces instantanés une vulnérabilité particulière, qui provoque un cynisme constant et répétitif. J’aimerais voir Emma Cline s’épanouir vers une littérature moins glacée et moins torturée.

Traduction : Jean Esch

Titre: Daddy (Daddy)

Auteur: Emma Cline

Editeur: La Table Ronde

Parution: septembre 2021

Harvey

Harvey de Emma Cline

Qu’est-ce qui pousse Emma Cline à s’intéresser aux prédateurs sexuels?

Après avoir relaté l’affaire Charles Manson dans « The Girls », puis fait faire une mauvaise rencontre au personnage féminin de sa nouvelle « Los Angeles », elle a choisi de consacrer son (longtemps attendu) nouveau roman à Harvey Weinstein, le producteur américain condamné pour viols et agressions sexuelles l’an dernier.

Dans « Harvey », Emma Cline nous transpose aux côtés du producteur, la veille de son procès.

L’homme nous paraîtrait inoffensif: isolé, diminué, souffrant. Et minable.

A-t-il conscience que demain tout va se jouer? 

Non, Harvey se sait innocent, et demain, ses projets pourront reprendre. D’ailleurs, il vient d’en trouver un nouveau, un formidable nouveau projet: il va adapter LE roman de Dani DeLillo, qui, aussi incroyable que cela puisse paraître, est le voisin de la villa qu’on lui a prêté dans le Connecticut. Il a hâte de s’y mettre.

Demain, la justice réhabilitera le grand Harvey.

Avec l’acuité dont elle a fait preuve dans ses deux précédents livres, Emma Cline nous plonge d’une façon extrêmement convaincante dans les pensées de Weinstein, qui semble être le seul à ne pas voir qu’autour de lui, les choses sont en train de changer. 

Qui se préoccupe encore de lui, à part son avocat qui essaie désespérément de le joindre, la journaliste à qui il promet l’interview qu’il donnera à l’issue du verdict, son assistante, ou sa fille qui passe en coup de vent rendre visite à son père?

Emma Cline nous bluffe dans sa capacité à se fondre dans Weinstein, à faire entendre sa voix. On retrouve, dans ce huis clos, la précision et le tranchant de son écriture.

S’il est difficile d’apprécier un roman dont le personnage est aussi détestable que Weinstein, on ne peut toutefois qu’apprécier encore davantage l’écrivaine et la créativité de son travail. 

On n’y retrouve pas la langue particulièrement inventive qui avait donné tant d’aura à son premier roman, mais son talent est indéniablement là. Et même, il s’affirme.

Traduction: Jean Esch

Titre: Harvey

Auteur: Emma Cline

Editeur: La Table Ronde

Parution: mai 2021