La nuit des béguines

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Qui connaît les Flandres ou les Pays-Bas a un jour ou l’autre été charmé par les béguinages que l’on y trouve encore, et la sérénité qu’ils dégagent, après avoir traversé les siècles – même s’ils sont aujourd’hui dépourvus des béguines qui ont créé leur histoire.

Notre histoire, elle, se situe en 1310 à Paris, dans le Marais que nous connaissons actuellement. C’est là qu’est installé le Grand Béguinage de Paris, qui abrite une communauté de femmes laïques, indépendantes, souvent célibataires ou veuves, parfois mystiques, elles refusent le mariage et continuent à mener une vie libre au sein de la communauté, protégées de la domination des hommes.

Ainsi apparaît-il au regard du visiteur exceptionnellement convié à pénétrer le béguinage:

La Bricharde remarque son étonnement devant la beauté sans ostentation des bâtiments qu’il découvre à sa suite. Elle lui présente tour à tour la vaste salle commune lambrissée de chêne où se tiennent les chapitres, la chapelle, modeste mais dont le choeur est fleuri, illuminé de cierges et même le potager avec ses énormes courges et ses rangs de poireaux bien alignés.

Ordre et propreté. N’étaient les maisons qui bordent la cour intérieure, il pourrait se croire dans un monastère. La vie, cependant, y est moins contrainte. Deux femmes passent en bavardant, panier sous le bras, la tête simplement enveloppée d’un linge blanc; une autre, vêtue d’une cape bordée de fourrure, entre dans une belle demeure à deux étages; le portail s’ouvre à plusieurs reprises sur des silhouettes pressées. La messe terminée, les béguines vaquent à leurs activités.

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Béguinage d’Amsterdam (2015)

Ysabel, une des doyennes du béguinage, recueille Maheut, une jeune fille à la chevelure de feu qui a fui un mari qu’on l’a contrainte à épouser. Pour échapper à la violence de cet homme, Maheut est parvenue jusqu’à Paris – Ysabel va décider de la cacher après l’avoir soignée au sein de l’hôpital du béguinage qu’elle dirige avec son charisme et les potions qu’elle prépare. C’est à Ade, issue de la noblesse, croyante et cultivée, qui refuse de se remarier depuis son veuvage, qu’elle demande d’abriter la jeune fille, malgré ses réticences:

Je ne m’adresse pas à vous sans avoir pesé mon choix. Maheut, je vous l’ai dit, a le cheveu roux. J’ai peur que beaucoup ne partagent les préventions communes à propos de sa toison »

Ade lève le menton.

– Qui dit que je ne les partage pas, moi aussi? Après tout, le roux est la couleur du diable?

– Ce n’est pas Satan qui habite cette enfant. Mais la peur, et la solitude

En juin de cette même année, la ville assiste à la condamnation à mort de Marguerite Porete, une béguine condamnée par l’Inquisition et brûlée vive en place de Grève. Quelques semaines plus tôt, ce sont 54 templiers qui ont été brûlés au terme d’un long procès. Philippe Le Bel, alors roi de France, est hanté par la peur de l’hérésie. Sévère, inflexible, il défend avec ferveur ce qu’il estime être la vraie foi. Marguerite Porete a écrit un ouvrage jugé hérétique, Le miroir des âmes simples anéanties, où elle prône sa soumission à Dieu sans avoir besoin de s’en remettre à l’Eglise. Son livre, désormais interdit, a été détruit, mais un exemplaire subsiste…

C’est à cette occasion que le Franciscain Humbert, à la poursuite de Maheut, croisera les trois femmes et mêlera son destin au leur.

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