
Le 10 novembre 1989, le lendemain de la chute du mur de Berlin, Inge et Carl Bischoff envoient un télégramme à leur fils Carl: ils ont décidé de quitté leur Thuringe natale pour réaliser leur rêve, partir à l’Ouest. Ils confient à Carl la garde de leur appartement de Gera, avant qu’il ne les conduise à un poste-frontière, d’où ils entameront leur périple, laissant Carl de longues semaines sans nouvelles.
On ne sait pas grand chose de Carl, sinon qu’il a été maçon, qu’il a repris des études, et qu’il veut devenir poète. Entre les murs solitaires de l’appartement familial, son errance débute en remontant les souvenirs, et en entretenant le patrimoine familial, la vieille Shiguli de son père – une Fiat fabriquée en Russie.
Quel étrange sentiment de voir ce jeune homme soudain abandonné par ses parents, partis vivre leur vie et le condamnant à rester – dans l’ordre inverse des choses.
Cela faisait des années que Carl n’habitait plus chez ses parents, mais par moments il se sentait soudain orphelin, abandonné, comme un enfant sans lumière à la fenêtre. Ce n’était pas le départ, la séparation, cet abandon aisé à nommer et à concevoir, mais l’autre abandon; il ne reconnaissait plus ses parents. Il ne savait plus qui ils étaient – en réalité.
Carl n’a pas l’âme aventurière de ses parents: le jour où il décide d’abandonner Gera à bord de la Shiguli, il part à Berlin, mais reste dans la partie Est, où « La moitié de la ville n’était qu’un enchevêtrement inextricable de cicatrices ». Dans le coffre, il a entassé des bocaux, de la viande congelée qui finira par pourrir malgré le froid de décembre, un duvet et les outils précieux de son père. La Shiguli, des semaines durant, lui offre l’asile de son toit, et l’argent pour survivre comme taxi clandestin.
Venu se réfugier par hasard au Theater 89, il rencontre ceux qui vont l’accueillir: de jeunes anarchistes qui veulent préserver les immeubles de Mitte et Prenzlauer Berg en les squattant, et empêcher les promoteurs de les détruire. Menés par le charismatique « berger » Hoffi et sa chèvre Dodo, ils mènent « l’A-guérilla » (la guérilla de l’Association des travailleurs) et veulent construire dans les sous-sols de leur immeuble, envahis de cloportes, un kolkhoze souterrain anticapitaliste. Avec ses outils, Carl le maçon va s’atteler à la tache, et bientôt va naître le bar Le Cloporte (« die Assel » sera un des hauts lieux de cette scène berlinoise), tandis que le Berger revend le mur de Berlin en pièces détachées.
A Berlin, Carl retrouve Effi, dont il est amoureux depuis l’enfance, et essaie de se faire une place sans réelle ambition, si ce n’est écrire et faire publier ses poèmes. Pourtant, malgré la communauté qui l’entoure, Carl ressent plus la solitude que l’épanouissement collectif, et n’arrive pas à aller au-delà des vingt poèmes qu’il a écrits.
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