Le chant du genévrier

photo du livre "Le chant du genévrier" de Regina Scheer

« Wahnsinn! » (Folie!) s’écrient collectivement les Allemands le 9 novembre 1989, lorsque l’Allemagne de l’Est décide d’ouvrir ses frontières. 

Wahnsinn, aussi, cette histoire de l’Allemagne de l’Est, une quarantaine d’années de folie idéologique et politique, de persécutions, d’annihilation humaine, qui se terminent en pétard mouillé.

« Le Chant du genévrier » saisit toute cette histoire dans son ampleur, depuis un petite village de Poméranie occidentale, au nord de Berlin. Machandel. Le genévrier.

Clara découvre Machandel en 1985, alors que son frère Jan s’apprête à quitter officiellement la RDA. C’est ici que leurs parents Hans et Johanna se sont rencontrés, c’est ici que Jan a grandi, élevé par sa grand-mère, avant de rejoindre une école militaire d’élite. Clara, née en 1960, quatorze ans après son frère, a grandi à Berlin-Est. Mais à Machandel, elle se sent chez elle, et décide avec son mari de rénover une chaumière à l’abandon. Ici, ils passeront leurs week-ends, leurs vacances, et Clara y écrira sa thèse sur un conte autour… du genévrier.  Dans les silences des habitants de Machandel se terrent les secrets du village pendant la guerre. Et c’est dans la polyphonie du récit que peu à peu, entrelacée avec l’histoire de la construction du pays, se révèlent l’histoire de la famille de Clara et ses liens avec Machandel.

Autour de cette famille privilégiée de fonctionnaires, Regina Scheer offre une vue intéressante depuis le coeur de l’appareil politique de la RDA – le père, Hans, communiste interné au camp de concentration de Sachsenhausen en 1943 qui survivra à « la marche de la mort » en 1945 en se réfugiant à Machandel, deviendra ministre du régime est-allemand avant de poursuivre sa carrière dans les arcanes du pouvoir.

Chaque personnage, à travers son histoire personnelle, apporte sa pierre à la petite et la grande histoire: Natalia, une réfugiée russe qui restera à Machandel après la guerre, Emma Peters, une veuve arrivée de Hambourg en 1943, Herbert, ami de Jan et Clara en opposition avec le régime de la RDA,…

C’est une mosaïque au dessin complexe, qui se compose lentement des récits de chacun. Complexe de par l’histoire politique racontée et de par l’étude philologique et mythologique du conte étudié par Clara; lentement, car les histoires se déploient au long cours, ne donnant des clés de compréhension que bien plus tard dans le récit. 

A la fin du roman – page 387, une liste des différents protagonistes résume leur histoire, permettant de mieux saisir les interactions romanesques. Personnellement, j’aurais apprécié avoir eu ces résumés à portée de main au cours de ma lecture: il eût été bienvenu que l’éditeur précise son existence en début d’ouvrage…

Si le roman offre une perspective dense et enrichissante sur l’histoire de la construction et de la déconstruction de l’Allemagne de l’Est, j’ai été gênée par la lenteur du récit. « Le chant du genévrier » n’est pas un roman pour les impatients.

Au contraire, si vous avez aimé ou pensez aimer ce roman, je vous conseille de lire « Stern 111 » de Lutz Seiler pour compléter ce point de vue.

Je laisse le mot de la fin à la fille de Clara, au soir de l’entrée dans l’an 2000 :

Vous êtes un pur produit de l’Est. Il faut toujours que vous discutiez d’une chose ou d’une autre. Vous passez des heures à parler de trucs qui ne sont pas intéressants pour les autres. Faites la fête, dansez! Et dans un an, vous n’aurez qu’à fêter de nouveau le millénaire! 

Traduction: Juliette Auber-Affholder

Titre: Le chant du genévrier

Auteur: Regina Scheer

Editeur: Actes Sud

Parution: janvier 2024