Les rêveurs

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Notre vie ressemblait à un rêve étrange et flou, parfois joyeux, ludique, toujours bordélique, qui ne tarderait pas à s’assombrir, mais bien un rêve, tant  la vérité et la réalité en était absente

D’Isabelle Carré, nous connaissons la carrière d’actrice, la blondeur presque candide associée à une certaine lumière qui cache une personnalité extrêmement discrète. Avec Les Rêveurs, elle se révèle par le biais de l’écriture.

Dans ce récit fragmenté, éminemment personnel, Isabelle Carré raconte sa famille « accidentelle », fruit d’une rencontre entre sa mère, jeune fille convenable d’une lignée aristocratique enceinte d’une rencontre éphémère, et son père, jeune artiste issu d’un milieu populaire. Entre la famille « fin de race » d’un côté et prolétaire de l’autre, les trois enfants de la famille Carré font souvent le grand écart, d’un côté le château et de l’autre la petite maison d’ouvriers. Mais dans l’appartement parisien rouge comme un cabaret, c’est une famille hors norme qui vit dans un univers décalé, au rythme des fantaisies d’un père designer et d’une mère vidée par sa tristesse. Car la famille « accidentelle » vole en éclat le jour où le père annonce à ses enfants son homosexualité et la vit librement, à une époque où il était de bon ton de taire « ces choses-là ». Dans l’insécurité affective qu’instaure cette situation familiale bancale mais assumée, les failles s’ouvrent et l’actrice porte son regard et ses souvenirs sur cette petite fille du milieu et sa difficulté d’être, ses envies de mourir, ses envies de réussir, une petite fille déjà lumineuse et superbement pugnace.

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Les Déraisons

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Le jour où Adrien, missionné par son employeur Aquaplus, débarque chez Louise pour annoncer une coupure d’eau, sa petite vie monotone est emportée dans un joyeux tourbillon où la fantasque jeune femme mène la danse.

Artiste, elle redessine du bout des doigts une vie idéale, joyeuse, poétique et farfelue. Sert une compote en persuadant son invitée que c’est un marbré coco, colore ses dents de jaune, de rouge, de vert ou de bleu lorsqu’elle les brosse le matin, appelle son chien Le-Chat… Mais Louise se fatigue, Louise tousse, de plus en plus, et le jour où on lui diagnostique un cancer des poumons, comme un malheur n’arrive jamais seul, Adrien se fait rétrograder dans un placard au fond d’un couloir sans fin d’Aquaplus.

 

Les protocoles se succèdent, et les tumeurs de Louise, rebaptisées ses Honey Pops, continuent de grossir.

Malgré la peur et les questionnements infinis, Louise puisait force et résistance dans cette drôle d’expression, qui lui rappelait les petits déjeuners de son enfance, à la campagne, chez ses grands-parents. A la réflexion, elle aurait aussi bien pu les appeler Choco Pops, mais les médecins parlaient de tumeur au large diamètre, alors par souci de précision médicale, elle avait préféré Honey Pops.

Oublié de tous dans son no man’s land, Adrien va peu à peu déserter le bureau, pour se consacrer entièrement à guérir son épouse adorée. Faire rire Louise, prolonger la magie de leur folie. Peu importe, car personne ne remarque son absence pendant ces longs moins.

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Pays provisoire

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Un titre qui évoque l’exil, la précarité de la vie, la douleur des guerres.

Nous sommes en 1917, Amélie Servoz est une jeune française qui vit à Saint-Petersbourg, capitale de l’Empire russe, ville du Tsar, de la culture, du raffinement, où elle est arrivée en 1910 pour reprendre la boutique de mode d’une cousine expatriée.

Jeune femme résolument moderne, indépendante et émancipée, ces années en Russie lui permettent de développer ses talents de modiste. Eloignée de la guerre qui sévit depuis plusieurs années en France, sa vie comme celle de centaines de milliers de petersbourgeois bascule en février 1917, lorsqu’éclate la Révolution russe. Face à la terreur de plus en plus intense que font régner les Bolcheviks, Amélie décide de quitter son pays d’adoption pour regagner Paris. Accompagnée d’une autre expatriée française, Amélie est loin d’imaginer le parcours que sera son retour en France, alors que toutes les voies de communication dans cette Europe en guerre sont coupées. De son départ en train pour la Finlande puis vers la Suède, pour pouvoir enfin prendre un premier bateau à destination de l’Angleterre, nous suivrons le parcours d’Amélie, qui fut celui de nombreux candidats à l’exil, pour regagner Paris.

Ce premier roman de Fanny Tonnelier évoque la première guerre mondiale sous un prisme méconnu, celui de la Russie des Tsars et de la magnificence de Saint-Petersbourg. C’est en fouillant dans les archives de l’ancienne capitale russe que Fanny Tonnelier a découvert l’existence de toutes ces jeunes françaises qui vivaient à Saint-Petersbourg, pour la plupart employée en tant qu’institutrices par de riches familles de la grande bourgeoisie ou de l’aristocratie. On saisit à travers ce récit toute la beauté de la ville, son importance politique et intellectuelle et la fascination qu’elle pouvait exercer sur l’Europe toute entière. Ceci est accentué par le métier de modiste d’Amélie, dont l’auteure fait une description fouillée, technique et passionnante. On se prend à rêver à ces sublimes silhouettes aux têtes chapeautées de capelines drapées, qui n’ont pas été sans m’évoquer la série de Nina Campanez, Les dames de la côte.

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L’homme de Grand Soleil

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C’est parti pour les 68 premières fois. Découvrir un livre qu’on n’a pas choisi, sortir de sa zone de confort, laisser tomber d’éventuels préjugés…

J’étais heureuse de recevoir ce roman, dont je n’avais pourtant absolument pas entendu parler – que je ne vous mente pas! Mais à me balader sur le site de ma copine québécoise Marie-Claude, l’envie de lire québécois me titillait…

J’avais un peu vite lu la quatrième de couverture: le roman se passe bien au Québec, mais son protagoniste est français (je l’avoue, j’ai eu une légère déception lorsque j’ai compris cela… mon « vrai » roman québécois serait partie remise).

Jacques Leboucher est médecin – il le concède, son nom peut faire fuir les patients! La cinquantaine, il s’est expatrié au Québec il y a de nombreuses années, et après un parcours du combattant pour faire valoir son diplôme, il a enfin eu l’autorisation d’exercer son métier. En contrepartie, il a dû s’engager comme médecin itinérant, qui une fois par mois rejoint après un long périple le Québec arctique pour soigner les habitants de Grand Soleil. Quel joli nom pour cette bourgade isolée de quelques dizaines âmes, où les températures descendent bien en-dessous des moins cinquante degrés et où l’on sort au péril de sa vie.

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