Interview: Carole Declercq (Fille du silence)

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Carole Declercq

Certains livres, encore plus que de fortes émotions, sont de véritables rencontres.

Je vous ai parlé il y a quelques jours de Fille du silence, l’histoire de Rita Atria, cette jeune fille sicilienne issue d’une famille de la mafia et qui a choisi de témoigner contre son milieu. Véritable coup de coeur, j’ai eu envie d’en savoir plus…

Carole Declercq, son auteure, a eu l’extrême gentillesse de consacrer du temps à mes questions.

Books Moods and more: Chère Carole, vous venez de publier votre troisième roman, Fille du silence. Pour les lecteurs qui vous découvrent, pouvez-vous nous parler un peu de vous?

Carole Declercq:  En quelques mots, je suis professeur de lettres depuis 22 ans. J’enseigne aussi les langues anciennes. J’aime beaucoup mon métier car il m’apporte beaucoup de satisfactions et j’aime le contact avec les jeunes. J’ai fait mes études à l’Université Charles de Gaulle, à Lille. Declercq est le nom de mon arrière-grand-mère. Je l’ai choisi pour pseudonyme car c’est un vrai beau nom du Nord et j’ai gardé beaucoup de tendresse pour les « Hauts de France » comme on les appelle aujourd’hui. Que dire encore? J’ai un tempérament plutôt calme, réfléchi. On dit parfois que je suis trop discrète. J’aime voyager, m’occuper de mon jardin en Isère, de mes enfants et de mes chats. Tout cela est très conventionnel et fait un peu « écrivain mystérieux », non?

 

Votre roman s’inspire de la vie et du combat d’une jeune fille contre la mafia sicilienne, Rita Atria. Comment est née l’envie de raconter son histoire?

D’une lecture. Un essai d’Anne Véron sur les femmes dans la mafia. Je préparais alors un séjour familial en Sicile. Une fois que j’ai une idée fixe dans la tête, ça se met à turbiner et il faut que je passe à la vitesse supérieure. Donc recherches documentaires et premières pages d’écriture. Je pose toujours quelques mots sur le papier même si mes recherches ne sont pas terminées. J’affine ensuite. Il m’arrive de supprimer les pages  d’un premier jet mais tant pis! C’est le jeu.

 

Le double littéraire de Rita s’appelle Rina. Est-il facile de romancer un tel personnage? Est-ce que vous vous êtes fixé des limites?

Oui et non. Disons que j’ai eu des contraintes narratives en ce sens que je voulais respecter le fil du destin de la vraie Rita Atria. J’ai modifié quelques noms et quelques lieux mais pour le reste, tout est authentique. En revanche je me suis accordé une liberté totale pour la vie intérieure de Rina et cela a représenté un bonheur. J’ai adoré être cette petite fille pendant quelques mois. Je ressentais ses sensations, ses émotions et j’essayais de les retranscrire au plus juste car j’aime jouer avec les mots.

 

Comment avez-vous préparé ce roman? Avez-vous pu investiguer en Sicile, travailler à l’écriture en immersion?

Je me suis rendue en Sicile pour le « ressenti » général:  l’ambiance, la lumière, les odeurs sont très présentes dans le texte. C’est aussi, je pense, un roman sur la Sicile. Ensuite j’ai correspondu avec Fabrice Rizzoli qui est maître de conférences à Paris et est spécialiste des organisations criminelles. Il a écrit de nombreux livres sur la mafia italienne. Je voulais que la partie « imagination » de mon roman corresponde à quelque chose de réaliste, histoire de ne pas raconter des bêtises. Enfin la journaliste et romancière allemande Petra Reski a écrit une biographie de Rita Atria qui n’a malheureusement pas été traduite en  français. Je l’ai lue en italien. C’est une enquête très incisive et Petra a rencontré les acteurs du drame, notamment la belle-sœur de Rita. J’ai aussi correspondu avec elle. Je lui ai envoyé le livre, j’espère qu’elle l’aimera.

 

Il y a en Sicile un vrai mouvement anti-mafia, pourtant elle reste très présente malgré les nombreuses condamnations qui ont eu lieu. Comment expliquez-vous cela?

C’est vrai. De nombreux mouvements de protestation féminins sont nés après la mort de Rita. La grande photographe sicilienne, spécialiste de la mafia, Letizia Battaglia était présente aux obsèques de Rita en 1992. Mais, vous savez, la situation est très compliquée en Italie. Il y a des collusions traditionnelles entre l’état et les organisations criminelles. Il y a des « protections ». Et surtout la mafia est une entreprise qui brasse beaucoup d’argent. Des milliards. C’est une économie parallèle incontournable. Bien des choses s’écrouleraient sans elle en Italie.

 

Pensez-vous que Rina / Rita aurait pu avoir eu un autre destin, ou bien la fatalité s’était-elle penchée au-dessus de son berceau, comme dans une tragédie grecque?

J’aime cette idée d’une fatalité au-dessus d’elle. Une fatalité maléfique. Pourtant elle a été aimée, elle a eu des moments de bonheur. Elle a été une jeune fille italienne comme une autre. Elle aurait pu avoir un autre destin à Rome mais sa terre lui manquait tellement. La mer, le soleil…Sa mère aussi, paradoxalement…cette mère, gardienne des traditions, qui l’a reniée et a profané sa tombe…

 

De l’écriture à la lecture il n’y a qu’un pas… Quelle lectrice êtes-vous? Quelle a été votre plus grande émotion littéraire?

J’ai lu beaucoup de classiques par le passé, formation oblige. J’aime les écrivains naturalistes. J’aime aussi découvrir des littératures étrangères. J’ai eu ma période anglaise, indienne, russe, italienne, américaine…Et je n’ai pas honte de dire que je suis bon public pour le polar, le roman historique. Un de mes grands bonheurs d’auteur a été d’embrasser Anne Golon (dont les excellents romans historiques ont longtemps été déconsidérés à cause des adaptations cinématographiques) avant qu’elle ne meure. J’ai été conviée à ses obsèques mais je n’ai pas pu m’y rendre.

Avez-vous de nouveaux projets d’écriture?

Oui mais je resterai discrète à ce sujet. Deux indices: c’est une histoire qui sera tendre et lumineuse, j’en ai bien besoin après Fille du silence! Et je lis en ce moment une grosse thèse de 700 pages sur l’histoire des Balkans…Pour Noël, je vais sortir le premier tome d’une série jeunesse historique chez Dreamland et mon premier roman Ce qui ne nous tue pas, qui a connu un beau succès, a été traduit en espagnol et va sortir en Espagne pour novembre.

Merci infiniment, chère Carole.

A vous de découvrir maintenant l’histoire de Rita à travers son double littéraire Rina dans le bouleversant roman de Carole Declercq, paru le 16 mai 2018 aux éditions Terra Nova

Unknown

 

Fille du silence

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C’est une histoire tragique, inspirée d’un fait réel, que la romancière Carole Declercq a choisi de raconter dans son nouveau livre, Fille du silence.

Une histoire qui parle de la Sicile d’aujourd’hui à travers ce qui, malgré elle, est en partie constitutif de son histoire, de son économie, de sa culture: la mafia. Cosa Nostra.

Je suis née Cosa Nostra. J’ai grandi Cosa Nostra. Je respire Cosa Nostra. Je pleure mon père sans ressentir la révolte légitime que je devrais ressentir contre Cosa Nostra. Parce que c’est inscrit dans notre sang. Nous sommes marqués du seau de Cosa Nostra à la naissance. Comme des bêtes à l’abattoir. En plein front

Nous sommes près de Trapani, à l’Ouest de la Sicile, à une petite heure de Palerme.

Dans la petite ville de San Vito, Rina Abadia passe une enfance insouciante – même si sa mère est revêche et ne lui témoigne aucune affection, son père Giuseppe l’entoure de beaucoup d’amour. Avec ses yeux de petite fille, Rina idolâtre Giuseppe, sorte de chef charismatique qu’on appelle le Dottore, même s’il n’a aucun diplôme.

Le Dottore aide souvent les autres, négocie, trouve des solutions aux problèmes des visiteurs du soir, et on le remercie de ses services par de petits cadeaux. Souvent, Nino, l’aîné de 10 ans de Rina, l’accompagne là où on l’appelle.

Rina a bien conscience qu’il se passe beaucoup de choses autour d’elle, qu’il y a beaucoup de morts, de morts jeunes, des morts « bus par le soleil » qu’on ne retrouve pas. Mais c’est ainsi qu’elle a grandi, au milieu de la mafia. Le jour où Giuseppe décide de ne pas suivre dans de nouvelles affaires le boss du village, il devient parjure. Quand on quitte Cosa Nostra, on est soudain contre Cosa Nostra. Donc un homme à abattre.

Fatalement, Giuseppe meurt sous les balles, certainement celles d’un ami de la famille. Rina a une dizaine d’années et elle commence alors à écrire son journal intime. Un par an. Nino, qui bientôt va rejoindre le clan qui vraisemblablement a tué son père, va commencer à se confier à Rina. Les noms, les actions, ce qu’on lui demande, qui lui demande, où, pourquoi. Elle va tout consigner. Peut-elle imaginer ce qu’elle risque? Ici, chaque faux pas est puni. On ne rigole pas dans le Milieu, peu importe qui vous êtes. La vie n’a pas de valeur, Cosa Nostra a tous les droits, Cosa Nostra dirige tout. Là où est Cosa Nostra, l’Etat n’a aucun droit, l’Etat n’oserait intervenir. Et pourtant, quelques juges osent la combattre, mais le Milieu reste tout puissant.

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