C’est une sacrée prise de risque que de se lancer à faire parler les morts, surtout lorsqu’ils sont coincés six pieds sous terre à attendre qu’un signe, l’ange de la mort ou n’importe quelle autre manifestation divine, abrège enfin leur insomnie funèbre pour les mener au repos éternel.
Depuis que le monde est monde et que l’homme a assimilé l’idée de la mort, il est hanté par l’idée de faire revenir les siens des Enfers – esprits, fantômes, spectres, ou revenants. Ou de les empêcher d’y aller.
Comment rester crédible dans cet exercice, donner des limites à l’esprit qui cogite tandis que l’enveloppe charnelle se décompose, confiné à l’espace du cercueil mais réceptif à ce qui se meut autour de sa tombe, le grincement de la grille du cimetière, les piétinements agiles de la petite soeur sur le gravier, le pépiement des oiseaux, la voix du père, les fleurs qu’on arrange dans un vase, les pleurs de la petite amie?
C’est avec une grande délicatesse que Caroline Valentiny a relevé haut la main ce défi, en signant un premier roman tout en justesse et en émotion.
Alexis se tournait et se retournait dans un lieu sans coeur, dans un monde sans autres. Il restait le corps en peau, les vêtements cousus sur les lambeaux de chair. Le temps se suspendait, l’espace se perdait dans le temps suspendu. La mort était cette hémorragie blanche qui le faisait douter de tout, de l’odeur des fleurs, de la couleur de la neige, du néant permanent qui s’était mis à recouvrir le souvenir des arbres, des routes et des semaines, de sa propre réalité, du fil de sa mémoire. Il voulait que le bleu l’emporte, mais le bleu se traînait.