Sauvage

photo du livre Sauvage de Julia Kerninon

Tu penses que l’amour est ton sujet, mais tu n’es pas spécialement douée pour ça. La vérité, c’est que tu ne t’intéresses qu’à la cuisine. Bensch et moi, on le sait, on l’a appris dans la douleur, tous les deux, je crois

Tous les matins, elle se lève, enfile sa petite robe noire et ses bijoux comme une panoplie, vole un baiser à ses enfants et son mari qu’elle abandonne à leur vie domestique – elle se précipite là où sa vie a pris toute la place, vers son restaurant de l’Esquilino. Les cloches des églises sonnent, le coeur de Rome bat au même rythme que le sien, tandis qu’elle enfile un tablier et s’affaire à ses tâches avec ardeur.

Je suis exactement la fille que je rêvais d’être, je me tiens exactement là où je rêvais de pouvoir me tenir un jour. C’est tout ce que je voulais. L’amour, c’est du travail. Le travail, c’est de l’amour.

Comme son père, comme tous les hommes de sa famille, Ottavia a la cuisine dans le sang. A quinze ans révolus, elle a quitté le lycée pour vivre sa passion à la trattoria Selvaggio, aux côtés de son père. Mais c’est surtout de son second, Cassio Cesare, qu’elle va apprendre. Dans ce jeune homme tenace, elle va puiser l’énergie, l’émulation, le goût du labeur pour créer sa propre cuisine, épicée de la passion qui va les unir et de la colère qui va les séparer.

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Toucher la terre ferme

photo du livre "Toucher la terre ferme" de Julia Kerninon

Voici un livre que je pourrai relire plusieurs fois – j’en suis déjà à la seconde, et je me replonge, avec délice, dans chaque page ouverte, depuis, au hasard.

Qu’est-ce qu’être mère, amoureuse, maîtresse, femme, fille, amie?

Julia Kerninon l’exprime d’une façon rare, brute, qui nous transperce.

Quelle justesse dans tout ce qu’on saisit. 

Quelle beauté renversante de l’écriture. 

Joan Didion disait qu’elle écrivait pour comprendre le monde, et en cela elle me fait penser à Julia Kerninon, qui écrit pour comprendre son monde. On sent l’importance de chaque mot, soupesé pour dire au plus juste la pensée, le ressenti. Le rythme parfait de la phrase qui traduit la femme, sauvage, passionnée, libre, amoureuse, sur le qui-vive, sexuelle, paradoxale.

Récit de l’intime qui dévoile chacune des facettes de l’écrivaine, plongée au coeur des sentiments, de la jouissance, le texte est d’une puissance inouïe, d’une sincérité désarmante, vibrante et poétique, sans pour autant plonger dans l’impudeur, dans le cru, dans le verbeux, dans cet espace où on se sentirait mal à l’aise. Au contraire. On voudrait saisir chaque phrase, la retenir longtemps, la faire sienne.

Nous rions sous la lune, dos sur la terre, et je pense à mes enfants. Je pense que je suis sur mère qui volait des billes et des pommes, je suis leur mère qui séduisait des hommes. Je suis leur mère qui faisait l’amour debout, sans un bruit, je suis leur mère qui a menti, leur mère qui a trompé, leur mère pleine d’orgueil et d’avidité, je suis leur mère peureuse, leur mère suicidaire, leur mère ambitieuse, je suis leur mère humiliée, leur mère abusée, leur mère bafouée, je suis leur mère timide, claustrophobe, indéfendable, je suis leur mère dont le coeur autrefois ne battait jamais si fort que dans les terminaux d’aéroport, leur mère qui a fui encore et encore, leur mère qui a promis des enfants à des hommes qu’ils ne connaîtront jamais, je suis leur mère avec les choses inavouables que j’ai faites, que je fais, que je sais. 

« Toucher la terre ferme » m’a permis de comprendre « Liv Maria », que je n’avais pas su aimer. J’en ai maintenant les clés.

Ce livre est un joyau, qui rejoint ma bibliothèque de coeur et ne la quittera plus.

Titre: Toucher la terre ferme

Auteur: Julia Kerninon

Editeur: L’Iconoclaste

Parution: 2022