Il y a trente ans, à Berlin…

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Berlin, novembre 2012, East Gallery

30 ans!

Oui, 30 ans aujourd’hui que le mur de Berlin est tombé.

9 novembre 1989.

Vous vous en souvenez, vous, de cette déferlante qui a fait basculer tout le bloc de l’Est?

On ne vivait pas l’information en continu comme maintenant, mais on était suspendus au journal de 20 heures, chaque soir. 

Depuis l’ouverture du rideau de fer quelques mois plus tôt, l’Histoire s’accélérait, et les allemands de l’Est, par la Hongrie, fuyaient leur pays dans l’espoir de passer à l’ouest – mais cela paraissait inconcevable que, tout d’un coup, le bloc tombe. 

La guerre froide était la menace permanente avec laquelle on avait grandi, on craignait les russes, et les américains un peu aussi – on avait chanté Russians avec Sting, pour dénoncer la peur de cette guerre nucléaire qui nous pendait au nez, en espérant vraiment que les russes, eux aussi, aimaient leurs enfants (I hope that Russians love their children too…)

Je crois bien que c’était l’année où je vivais pour la première fois des évènements historiques en pleine conscience – 1989 nous tenait dans une exaltation particulière, lycéens rebelles dans l’âme qui cette année-là étions portés par le bicentenaire de la révolution française. On avait tremblé pendant des semaines durant les manifestations de Tian’anmen, soutenu et pleuré le peuple chinois qui voulait être libre et se faisait massacrer. La révolution se propageait, contagieuse, c’était furieusement incroyable. 

Tout s’est passé très vite en Allemagne, on a à peine eu le temps de réaliser que des garde-frontières dépassés ouvraient les frontières, et que des pans de murs, sous nos yeux, tombaient. C’était l’euphorie – dans le poste de télé, les allemands de l’ouest et de l’est se serraient dans les bras. Chacun ramassait son bout de mur en souvenir. Deux jours plus tard, Rostropovitch s’installait à Check Point Charlie avec son violoncelle devant le mur… Et nous, médusés devant l’écran, nous regardions les yeux émerveillés des allemands de l’Est qui découvraient un autre monde avec dans leur poche les 100 DM que le gouvernement ouest allemand leur offrait. Bienvenue à l’Ouest! Willkommen im Westen!

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La maison de Karen Blixen à Rungsted

J’avais une maison au Danemark…

Imaginons un instant un roman qui serait le pendant d’ « Out of Africa » et qui pourrait s’intituler  « Back in Denmark »

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Après dix-sept années passées en Afrique, Karen Blixen pousse un jour la porte de la maison de son enfance. 

Elle revient contre sa volonté, le coeur brisé: l’amour de sa vie, Denys Finch Hatton, s’est tué dans le crash de son avion. 

Elle a dû abandonner sa ferme, ruinée, après l’échec de sa plantation de café malgré un travail acharné et le renfort financier de sa famille. Sa santé est fragile depuis des années – Bror von Blixen, son ex-mari, cousin au second degré et coureur de jupons invétéré, a eu la délicatesse de la contaminer avec sa syphilis à peine un an après leur mariage, et les effets secondaires du traitement ont dégradé sa santé.

La baronne Blixen rentre chez elle. Elle a quarante-six ans, en cette année 1931. Sa mère habite encore Rungstedlund, une vieille auberge  que son père a achetée en 1879, six ans avant sa naissance.

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C’est dans cette maison, face à la mer et face à la Suède, qu’est née Karen Christentze Dinesen en 1885. Elle a déjà une soeur aînée, une autre soeur et deux frères suivront après elle. Thomas, le plus jeune, deviendra son fidèle confident. Chez les Dinesen, seuls les garçons sont scolarisés. Les filles ont un tuteur à la maison, leur grand-mère et leur tante peaufinent avec rigueur leur éducation. Très tôt, Karen a appris à raconter des histoires à ses soeurs – elle écrit ses premières pièces à onze ans.

Dans les bagages qu’elle ramène d’Afrique, il y a sa petite machine à écrire, une Corona portative. 

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Sait-elle déjà qu’elle va se remettre à écrire? Elle avait bien tenté, dans sa jeunesse, d’embrasser une carrière littéraire. Mais les contes publiés sous le pseudonyme d’Osceola n’ont pas eu le succès escompté. Depuis toujours, elle s’interroge sur le sens qu’elle doit donner à sa vie. Il est peut-être là, dans sa valise.

Rungstedlund est accueillante, à l’image des derniers souvenirs qu’elle en a gardés avant de repartir pour le Kenya – elle affiche une élégance à la fois simple et aristocratique. Une aura, une histoire familiale, une chaleur aussi se dégagent de ses murs séculaires. 

Karen, doucement, en convalescence de son mal d’Afrique, va reprendre ses marques.

Dans cette maison, elle a toujours aimé la cuisine, lumineuse, ouverte sur le grand jardin. Elle y a passé des heures, à lire, lorsqu’elle était enfant. Un jour, cette cuisine aux éléments joliment vert pâle l’inspirera peut-être pour écrire un de ses contes les plus célèbres, Le festin de Babette.

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Venise à double tour

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Peut-être êtes-vous comme moi, à aimer découvrir un lieu par le biais d’un livre.

J’avais déjà lu beaucoup de romans sur la magnifique Venise, et j’aimais retrouver des itinéraires que je connaissais – ou les retracer sur une carte.

Bizarrement, je n’ai pas ressenti le besoin de choisir un livre pour ma dernière escale vénitienne. Pourtant, très vite, le besoin d’accompagner mes balades dans la ville par une lecture idoine s’est fait impétueux, et c’est à la librairie Studium que j’ai trouvé ce Venise à double tour qui m’avait été chaudement recommandé.

Jean-Paul Kauffmann y raconte sa quête très particulière, et pour laquelle il est venu s’installer plusieurs mois à Venise: voir ce qui se cache derrière la porte des trop nombreuses églises fermées. 

Pourquoi? 

Le souvenir fugace d’un tableau entrevu une cinquantaine d’années plus tôt, qui l’a suivi. 

Et un besoin inconscient, irrépressible aussi, d’ouvrir l’espace dont l’a privé sa captivité au Liban.

C’est depuis la Giudecca, où il s’est installé, que l’écrivain et ancien journaliste va observer Venise  et ses nombreux clochers, s’interroger chaque jour sur la progression ou l’échec de son enquête.

Venise cultive le secret, à la manière des carnavaliers cachés derrière leur masque. 

Et JP Kauffmann ne va pas tarder à saisir l’impénétrabilité de ce secret savamment entretenu par toute une organisation séculaire propre à la cité des Doges: trouver celui ou ceux qui détiennent les clés de ces églises fermement verrouillées va s’avérer un vrai parcours du combattant, semant le doute et les espoirs de façon incontrôlable.

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Autour des livres: balade napolitaine

Nous somme nombreux ces jours-ci à être plongé(e)s dans Celle qui fuit et celle qui reste, le troisième volet de la saga napolitaine d’Elena Ferrante sorti en début de semaine. C’est également l’occasion pour d’autres de découvrir à leur tour L’amie Prodigieuse et Le nouveau nom.

Cette lecture, c’est pour moi l’envie de vous emmener en balade dans les rues de Naples, troisième ville d’Italie après Rome et Milan, aujourd’hui capitale de la Campanie et capitale historique du Royaume de Naples et du Royaume des Deux-Siciles. Fondée dans l’Antiquité par les Grecs, elle fut tour à tour byzantine, normande, angevine et aragonaise, jusqu’au 18 ème siècle où elle devient capitale des Deux-Sicile.

Naples, aujourd’hui, est une ville qui fourmille sous toutes les strates de cette histoire,  vulnérable économiquement, victime de son statut de ville du Sud, rebelle par rapport à ses cousines policées du Nord, et sous l’emprise de la Camora.

Dans Celle qui fuit et celle qui reste, Lenu a ces mots à son retour à Naples:

A chaque fois que je rentrais, je retrouvais une ville faite d’un feuilleté de plus en plus friable, qui ne supportait pas les changements de saison, le chaud, le froid ni, surtout, les orages. (…) J’avais en mémoire des rues sombres et pleines de danger, une circulation de plus en plus désordonnée, des chaussées défoncées et de grosses flaques (…). Les gens mouraient de l’incurie, de la corruption et des abus.

Naples semble figée dans son histoire aujourd’hui encore. Elle vit avec son tempérament du Sud, solaire, aguicheuse, bruyante, impétueuse, poussiéreuse, passionnée, sale, lumineuse, généreuse, accueillante. Naples est la ville des épithètes paradoxaux!

Au visiteur qui se rend à Naples, on dit souvent « Attention, ne sors pas avec tes bijoux! Ne montre pas ton appareil photo! Accroche bien ton sac en bandoulière! ». Plusieurs fois nous nous sommes rendus à Naples, où nous avons vécu le temps de notre séjour dans les quartiers populaires, et jamais nous ne nous sommes sentis en danger. Au contraire, les napolitains étaient bienveillants, protecteurs, ici nous apostrophant tous les jours à notre sortie de l’immeuble, là offrant aux enfants un petit pain sorti tout droit du four du boulanger.

Dans Le jour avant le bonheur, Erri de Lucca écrit à son sujet:

C’est à ce moment-là que j’ai compris la ville: monarchie et anarchie. Elle voulait un roi et pas de gouvernement. C’était une ville espagnole (…). Naples est espagnole, elle se trouve en Italie par erreur.

Naples, ce sont, mis bout à bout, beaucoup de quartiers populaires, laissés dans leur jus, avec des immeubles à la jolie patine jaune (ou délabrée, selon le point de vue), et partout ces petits autels à la mémoire des défunts de la famille, de Pio Padre ou des saints que l’on vénère.

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C’est Le linge qui pend aux fenêtres, les enfants qui crient dans la rue et les scooters qui ne préviennent pas quand ils arrivent.

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