Voici un des plus forts romans de 2016 qu’il m’ait été donné de lire. Un immense coup de cœur.
Son auteure, Natacha Appanah, situe le roman sur l’île de Mayotte, département d’outre-mer français. Mayotte évoque l’exotisme et les plus somptueux lagons qui existent. Une île paradisiaque à l’autre bout de la planète. Mais loin du rêve, le roman soulève la triste réalité d’un territoire qui n’a de français que le nom.
Roman chorale, Tropique de la violence s’ouvre avec le récit de Marie. Déjà, on comprend qu’une tragédie s’est nouée. Marie est une infirmière française qui a suivi son mari mahorais à Mayotte. Très vite, le paradis s’efface au profit de la folie. Marie ne peut avoir d’enfant, cet enfant métis qu’elle rêvait de donner à Cham son mari, qui la délaisse au profit d’une clandestine comorienne bientôt enceinte. Le destin met sur le chemin de Marie, une nuit où peut-être « elle oublie de fermer son cœur » un bébé rejeté par sa jeune mère clandestine, parce qu’il porte l’empreinte du djinn, créature dotée de pouvoirs surnaturels : il a un œil vert et un œil noir. Marie va élever Moïse comme son fils, comme un blanc, comme un français. A l’adolescence, l’enfant calme, serein et posé se révolte :
je n’en voulais plus de cette vie protégée, de cette vie de Blanc, de cette musique blanche qui ne transporte nulle part et de ces livres qui parlent de roseaux et de saules. Je voulais transpirer une sueur d’homme noir, je voulais manger du piment et du manioc comme avant je mangeais des petits Lu et de la confiture, je voulais du tam-tam et des cris, je ne voulais pas être un muzungu, un étranger. Je voulais appartenir à un endroit, connaître mes vrais parents, avoir des cousins, des tantes et des oncles. Je voulais parler une langue qui fait rouler les r et chuinter les s
Marie meurt subitement, laissant le jeune homme désemparé, livré à lui-même, livré aux loups, et qui n’a de cesse de s’interroger sur ses origines :
j’ai pensé à un garçon né il y a quinze ans sur une île des Comores et qui aurait pu avoir une autre vie s’il était né avec deux yeux noirs. Je me suis demandé ce qu’il aurait pu faire ce gamin-là pour briser ses chaînes, pour contourner son chemin commencé dans la violence, l’ignorance et le dégoût. Je me suis demandé si, en réalité, il n’était pas foutu d’avance ce garçon-là, et avec lui, tous les garçons et les filles nés comme lui, au mauvais endroit, au mauvais moment