Un monde à portée de main

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Je sors de ce roman un peu sonnée. Etourdie. Et reconnaissante aussi. Nourrie d’une langue autant que d’une histoire.

Je me suis détachée de Paula Karst, et l’image de Maylis de Kerangal s’est superposée à la sienne. Ce ne sont pas les similitudes entre le personnage et l’auteure qui se sont imposées, mais l’auteure elle-même, dans sa démarche d’exigence, dans son travail d’écriture qui texturise la matière, explore les strates, dissèque les mouvements. Je l’ai vue, dans la besogne vertueuse, dans cette chambre de bonne qui depuis plusieurs années est son espace de recherche, de réflexion, de création littéraire, subjuguée par la liberté que lui offre le confinement de l’endroit, envieuse de ce savoir-écrire rare. De ce souffle qui emporte, de cette acuité hypnotique, paralysante. De ces phrases longues qui s’enroulent en spirales, ou se déroulent en volutes. De cette grâce qui se dégage du labeur qui a dû soupeser chaque mot, Maylis de Kerangal se faisant l’artisan d’une langue comme Paula se fait l’artisan du trompe-l’oeil.

Que dire de cette langue qui claque, rythmique, obsédante, aspirante, technicienne, débarrassée  de la froideur chirurgicale de « Réparer les vivants », et qui dans « Un monde à portée de main » atteint à mon sens les sommets de la création littéraire?

Cette langue, qui m’a tellement conquise, m’en ferait presque oublier, à tort, une histoire qui nous raccroche aux racines de notre monde, de notre histoire et de l’art.

Paula Karst, le regard fendu, les yeux vairons au léger strabisme divergeant est une fille un peu indécise, même, aux dires du narrateur, une fille « moyenne, protégée, routinière, et pour tout dire assez glandeuse ». Paula veut peindre, nous sommes en 2007 et elle intègre une école de peinture rue du Métal à Bruxelles, pour apprendre l’art du trompe l’oeil.

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