Est-ce que l’amour d’un petit garçon peut empêcher sa mère de sombrer?
Dans le gris triste d’un coron de Glasgow, Agnes Bain se fait abandonner par son mari Shug, taxi la nuit et coureur de jupons invétéré. La pauvreté et les infidélités de son mari l’ont fait plonger dans l’alcool, et lorsqu’il la laisse dans cette misérable maison, qu’elle espérait être un nouveau départ pour eux, Agnes est happée un peu plus par ses démons. Dès le lever du jour, elle s’abandonne à la boisson, quitte à dépenser sa semaine d’allocations dans les bouteilles qui la consolent – et laissent vide le ventre de ses enfants.
Dans ce quartier de mineurs encore plus pauvre que celui qu’elle vient de quitter, englué dans la tourbière, Agnes met pourtant un point d’honneur à afficher, coûte que coûte, son élégance, surtout les jours de gueule de bois, attirant sur elle les moqueries des unes et la jalousie des autres.
Chaque jour elle ressortait de sa tombe, maquillée et coiffée, et redressait la tête. Quand elle s’était ridiculisée la veille, elle se relevait, mettait son plus beau manteau, et faisait face au monde. Quand elle avait le ventre vide et que ses mômes avaient faim, elle se coiffait et faisait croire au monde entier qu’il n’en était rien
Shuggie admire tant sa mère au port altier, son pull à perles, ses collants Pretty Polly noirs, ses talons hauts, les boucles de ses cheveux laquées dures comme du carton, les lèvres ourlées de rouge sur les dents en porcelaine qu’il lui retire, le soir, lorsqu’elle est trop saoule pour le faire.
Ses deux aînés, l’un après l’autre, abandonnent Agnes, et seul Shuggie reste à ses côtés pour tenter désespérément de la sauver.
Il pensait que, s’il parvenait à remplir chacun des instants de sa journée avec du bruit, elle ne replongerait pas.
Shuggie se réfugie dans cet amour inconditionnel, pour échapper aux persécutions qu’il subit, car personne ne le trouve « net » ce garçon qui parle de façon trop précieuse et danse comme une fille…
Si Shuggie Bain est le cri d’amour d’un fils, c’est avant tout l’histoire d’une femme déchue, déçue, maltraitée, mal-aimée mais aimante, mais aussi fière, flamboyante et terriblement malheureuse. Quelle vie aurait-elle pu avoir, Agnes, avec un homme qui aurait su l’aimer, la choyer, sans la faire souffrir, sans l’avilir!
Elle l’avait aimé et il avait dû la briser totalement pour pouvoir la quitter. Agnes Bain était une chose trop rare pour laisser quelqu’un d’autre l’aimer. Ça n’aurait pas suffi de la laisser en morceaux pour que plus tard un autre les ramasse et la répare
Douglas Stuart, avec un réalisme extraordinaire, retranscrit le Glasgow des années 1980, où lui-même, enfant, a été confronté à l’alcoolisme de sa mère et au regard des autres sur sa façon d’être différent.
L’écriture, sublime (restituée par une traduction très fine de Charles Bonnot) dévoile un écrivain de talent, en témoigne le prestigieux Booker Prize qui a récompensé le livre en 2020.
Shuggie Bain est un coup de coeur énorme, dont il n’est pas facile de se remettre!
Traduction: Charles Bonnot
Titre: Shuggie Bain
Auteur: Douglas Stuart
Editeur: éditions Globe
Parution: août 2021
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