Le chemin de sel

photo du livre Le chemin de sel de Raynor Winn

Ceci est un récit qui redonnera espoir à ceux qui touchent le fond, une histoire de dépassement de soi qui aidera ceux qui pensent ne pas avoir l’énergie d’avancer, une confirmation qu’une force supérieure nous protège, même dans les pires moments.

Raynor et Moth Winn ont cinquante ans, et ils viennent de tout perdre. 

Du jour au lendemain, la belle ferme qu’ils avaient construite pierre par pierre est saisie par les huissiers, et un malheur n’arrivant jamais seul, ils apprennent que Moth, qui souffre depuis des années de terribles douleurs à l’épaule, est atteint d’une maladie dégénérative incurable. Sans toit, sans argent, et sans beaucoup d’espoir que les choses s’arrangent, Raynor entrevoit une seule solution pour eux: marcher. Ils vont entreprendre un périple de plus de mille kilomètres en parcourant la côte du Sud-Ouest de l’Angleterre: Somerset, Devon nord, Cornouailles, Devon sud…

Munis du guide de marche du célèbre Paddy Dillon, surhomme de la randonnée, ils partent arpenter le Salt Path, munis chacun d’un sac à dos qui regroupe leurs maigres biens, d’une tente, et d’un petit pécule de 115£.

Ray et Moth sont devenus des sans-abris, des nomades randonneurs, dans un pays particulièrement sévère à l’encontre de tout comportement lié à l’absence de domicile fixe. Soudain déchus socialement, ils vont devoir affronter régulièrement la condescendance et le mépris lorsqu’ils osent raconter leur histoire.

Je pense que maintenant je comprends ce que ça veut dire d’être sans abri, comme un ballon dont on a coupé le fil et qui vole au vent.

Leur manque de préparation, tant physique que matériel, est déconcertant. 

Sédentaires, randonneurs néophytes, leurs corps ankylosés ne sont pas prêts à affronter des sentiers caillouteux aux dénivelés imprévus, et ils mettent bien plus longtemps à parcourir les distances que l’ambitieux Paddy Dillon. Le camping sauvage s’avère compliqué lorsque chaque soir il faut trouver un endroit où s’installer, ils souffrent du froid dans leurs duvets ultra légers mais pas isolants, et la faim apaisée un temps par des sachets de nouilles déshydratées et des barres chocolatées leur tord les boyaux. La maladie de Moth ralentit le duo de randonneurs, et la culpabilité envahit Ray: comment a-t-elle pu envisager d’embarquer son mari souffrant dans une marche pareille?

Pourtant, petit à petit, ils prennent confiance en eux, et ont le sentiment d’accomplir quelque chose. Mieux, ils font corps avec la nature, dont ils absorbent la beauté « Vous avez été touchés. C’est écrit sur votre visage: vous avez senti la main de la Nature. Vous êtes salés à vie » leur dira une femme croisée en chemin.

Le Sentier nous avait appris que les kilomètres à pied ne sont pas comme les autres. On connaissait la distance, l’espace à franchir d’un arrêt à l’autre, d’une gorgée d’eau à la suivante, on l’écrouvait dans nos os, comme la crécelle la mesure dans le vent et la souris l’évalue de son regard. Dans une voiture ou dans un car, les kilomètres ne sont pas une affaire de distance. Seulement une question de temps.

Malgré la fatigue, la faim, le froid, détachés de tout, Ray et Moth découvrent la liberté. Ce sentier d’incertitude leur donne l’assurance d’avancer un pied devant l’autre, mettant de belles rencontres sur leur chemin, et leur donnant foi en une possible reconstruction.

Raynor Winn raconte cette aventure humaine avec force, humour, agrémentant son récit de descriptions des magnifiques paysages de ce chemin de randonnée, le documentant de réflexions sociales, politiques, environnementales, historiques, n’épargnant rien sur leurs déboires physiques, leur déchéance économique et sociale, portée par une honnêteté lucide et la fierté d’avoir su faire de ce Chemin de Sel, pour un temps, leur maison.

Lecture passionnante à maints égards, elle m’a évoqué « Wild » de Cheryl Straight, partie sur les chemins de Californie pour retrouver un sens à sa vie. 

Plus qu’une histoire de résilience, c’est une grande histoire d’amour, celui qui permet d’avancer à deux quand tout est perdu, et que l’on comprend que l’autre est son foyer véritable.

Traduction: Marc Amfreville

Titre: Le Chemin de sel

Auteur: Raynor Winn

Editeur: Stock et 10/18

Parution: 2023

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