Nulle part sur la terre

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Le Mississipi et sa moiteur.

Maben et sa petite fille Annalee marchent au bord de l’autoroute I-55, épuisées par l’effort et la chaleur, avec pour seul bagage un sac poubelle noir dans lequel pèse le peu qu’elles possèdent. Après des années d’itinérance, Maben revient, sans but, sans argent, mais avec une bouche de plus à nourrir. Au relais routier, elle dépense la moitié des précieux dollars qui lui restent pour prendre une chambre où Annalee pourra enfin se reposer après toutes ces nuits passées à la belle étoile. Mais la nuit vire au cauchemar pour Maben, qui va devoir fuir à nouveau avec Annalee.

Russel, après onze années de prison, revient chez lui, à Mc Comb, Mississipi. Pendant ces onze années, le monde a continué à tourner, ses amis se sont mariés, sa fiancée l’a quitté pour fonder un foyer, sa mère est morte. Et la haine des frères de celui qu’il a tué accidentellement onze ans plus tôt, après une soirée alcoolisée, est plus vive que jamais. Russel doit avancer, affronter, apprendre à revivre après ces onze années d’enfermement, soutenu par son père qui entretemps a retrouvé une compagne, mexicaine sans papiers.

Onze ans, songea-t-il.

Assez longtemps pour que tous ceux qu’il connaissait se soient mariés depuis. Plus d’une fois peut-être. Ou plus de deux. Qu’ils aient eu le temps de faire des gosses. De décrocher un boulot qui aurait fini par leur réussir, leur valoir des promotions, des titres et des bureaux avec des fenêtres, peut-être même des cartes de crédit de leur boîte dans la poche. Assez longtemps pour que les étagères du salon se soient remplies d’albums photos où seraient archivés les clichés de leurs vacances d’été à Pensacola et Gulfport et au parc de Six Flags quand les enfants auraient grandi et peut-être même à Disneyworld. Assez longtemps pour en être à leur deuxième maison parce que la première serait devenue trop petite. (…)

Comment la vie va réunir Russel et Maben, c’est toute l’efficacité de Michael Farris Smith, qui va parvenir à nous tenir en haleine tout au long du roman. Maben et Russel, qui n’auraient jamais dû se rencontrer, mais que le destin a décidé de réunir, deux âmes brisées, deux êtres anéantis par la vie et qui malgré tout survivent, qui vont devoir se battre à nouveau. Et faire des choix risqués pour essayer de trouver une porte de sortie.

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Mc Comb, Mississipi

Il était temps pour moi de revenir à la littérature américaine, dont j’ai toujours besoin de me nourrir. La sortie de ce roman noir était une magnifique opportunité, d’autant plus que j’avais vu passé plusieurs commentaires forts enthousiastes à son sujet.

Et le moins que je puisse dire, c’est que je me suis régalée.

Si l’écriture est moins lyrique, moins écorchée que celle d’un Willy Vlautin (récemment découvert grâce à Marie-Claude), elle n’en est pas moins efficace et complètement maîtrisée, dépourvue de fioritures et directe, notamment dans ses dialogues. Il en résulte un récit sous tension, débarrassé du superflu, et des personnages à vif.

La campagne marécageuse du Mississippi est également superbement mise en valeur, sa touffeur nous atteint comme le suspense de l’histoire qui monte. Ici, dans ce sud américain rural qui porte encore ancrés les stigmates de son passé, les hommes sont violents et mal dégrossis et entretiennent la haine, le besoin de vengeance. Comment dans un tel environnement, peut-on espérer la rédemption?

Les personnages que nous offre Michael Farris Smith sont deux vrais écorchés de la vie, deux personnages au mauvais karma. Peut-on tomber plus bas, lorsque l’on est déjà tout en bas? Maben et Russel, oui. Comment arrêter la chute, qui nous noue le ventre en y assistant?

Si j’avais un seul reproche à faire, ce serait la fin, qui me laisse un goût de non achevé, l’auteur n’ayant pas répondu à une question à laquelle j’aurais souhaité avoir une réponse – mais inutile de vous la souffler, sinon je tuerais tout le suspense.

Nulle par ailleurs sur la terre est un roman efficace et fort divertissant. Parfois, il est inutile de demander plus!

Titre: Nulle par sur la terre

Auteur: Michael Farris Smith

Editeur: Sonatine Editions

Parution: Août 2017

7 réflexions sur “Nulle part sur la terre

  1. Comme toi, j’ai toujours besoin de revenir au port de la littérature américaine.
    Mais là, je t’avoue que ça va mal en p’tit péché! Après ma cuisante déception pour « Par le vent pleuré » de Ron Rash (tu imagines, moi, déçue par Ron?!), j’ai enchaîné avec « Nulle par ailleurs sur la terre ».
    Je n’ai pas fait la connaissance de Russel. Non. J’ai abandonné avant. Pourtant, ça commençait plutôt bien avec le bon samaritain, Maben et Annalee. Mais après une trentaine de pages, j’ai fait une indigestion de «et». Je n’en ai jamais vu autant rassemblés en si peu de pages. J’ai trouvé les phrases boiteuses, mal tournées. J’ai lâché prise…
    Ça va mal!

    Aimé par 2 personnes

    1. Non!!!! Si je n’ai pas trouvé l’écriture (ou la traduction ?) exceptionnelle, je n’en ai pour autant pas été gênée. J’ai trouvé le roman efficace et j’ai vraiment adhéré à l’histoire. Russel t’aurait plu je pense, mais je comprends ton point de vue après ta déception sur le Ron Rash (j’en suis encore toute chose, qu’il ai osé te décevoir !!). Dommage je comptais sur toi pour me dire ce que tu pensais de la fin…!

      J’aime

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