Sur l’île

couverture du livre Sur l'île, d'Elizabeth O'Connor

C’est une petite île, au large des côtes du pays de Galles. 

Les nouvelles du monde y arrivent par des journaux défraîchis. Ici, on sait vaguement que la guerre peut arriver. En ce mois de septembre 1938, les îliens sont plutôt préoccupés par une baleine qui s’est échouée sur la plage – un présage, selon les plus anciens, mais un présage de quoi?

Manod est une jeune fille de dix-huit ans, qui vit dans un cottage à flanc de colline avec sa petite soeur et son père, pêcheur de homards comme la plupart des hommes sur l’île. Depuis la mort de sa mère, elle a repris les rênes de la maison. Manod cuisine, coud habilement, brode merveilleusement. Elle a toujours vécu sur cette petite île, en connaît chaque recoin.

Manod a appris à parler anglais, elle rêve d’étudier sur le continent. Et si sa chance venait de ces deux ethnologues, Joan et Edward, qui débarquent un jour, avides de compiler la vie des îliens dans un livre? Forte de sa connaissance de la mer, des plantes, des saisons, elle va leur être une alliée précieuse, à la fois traductrice, guide, et objet de curiosité. Les semaines vont s’égrener, au rythme de la baleine échouée qui se désagrège sur la grève… Qu’en sera-t-il du rêve de Manod quand la baleine ne sera plus qu’une relique de la fête de la Mari Lwyd ?

« Sur l’île » est un roman d’atmosphère captivant, un huis-clos îlien au coeur d’une nature sauvage. J’ai tout aimé dans ce roman, qui collecte, à la manière des deux ethnologues, tous les trésors de l’île: ses oiseaux, fous de Bassan, macareux et sternes qui viennent et repartent au gré des saisons, la lumière de ses paysages, son gallois local, l’humanité de ses habitants, le folklore de ses superstitions, de ses chants et de ses contes. 

« Je n’ai jamais observé l’île de près. Je n’ai jamais pensé qu’elle était intéressante, ou belle » dit Manod. Elizabeth O’Connor, elle, en décrit les plus infimes choses de façon saisissante. Ici, l’odeur aigre de casiers de homards aux filets blanchis par le sel et la moisissure, là des brins de laine de mouton qui « flottent dans l’air comme des ailes de fées ». 

Elle rend lumineux un quotidien âpre et banal, en captant l’intérêt de ce que l’on ne saurait voir.

Avec son écriture et sa narration épurées, le style d’Elizabeth O’Connor m’a évoqué celui de Claire Keegan dans « Les trois lumières », tandis que les contes folkloriques, faits d’histoires de fées, de phoques et de mer qui volent les filles, n’ont pas été sans me rappeler le magnifique roman de Susan Fletcher, « Les reflets d’argent ».

Robert Flaherty (director) MAN OF ARAN (1935) (documentaire célèbre pour ses erreurs factuelles et reconstitutions)

En parallèle, « Sur l’île » raconte l’histoire d’une jeune fille en voie d’émancipation, qui se fait elle aussi ethnologue de la vie des femmes sur le continent, à travers Joan qui devient comme un objet d’étude.

L’autrice critique également une pratique méprisante de l’ethnologie, qui privilégie le sensationnel sur la vérité (notamment par le biais de mises en scènes de la vie quotidienne fantasmées) et s’arroge le droit de spolier la population de ses menus mais précieux objets, preuves d’un folklore local qui deviendront leurs trophées.

La construction du récit, qui alterne brefs chapitres, extraits de livres et enregistrements, rythme ce magnifique roman contemplatif, qu’il m’a été difficile de quitter. Comme Maggie O’Farrell, citée sur la couverture, « j’aurais voulu que ce roman dure toujours ». 

Traduction: Claire Desserrey

Titre: Sur l’île (Whale Fall)

Auteur: Elizabeth O’Connor

Editeur: JC Lattès

Parution: mai 2024

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