La fileuse de verre

couverture du livre La fileuse de verre

Rosetta, canella, ulivetta, paternostro, conterie: Tracy Chevalier nous ouvre les portes du merveilleux univers des perles de verre. 

Avec elle, nous avions appris l’art du quilt, la précision de la broderie, la discipline de la tapisserie, l’exigence de la peinture, la science des fossiles et j’en passe – cette fois-ci, elle a choisi de nous immerger dans l’artisanat des maîtres verriers de l’île de Murano.

C’est sur l’île de la lagune vénitienne que sont regroupés les verriers, chassés de Venise en 1201 de peur que leurs fours y mettent feu. En cette fin de XVe siècle, la production du verre est régie par des règles strictes et claniques, et s’exporte vers le monde entier – tel qu’on le connaît à cette époque, bénéficiant de l’hégémonie commerciale du port franc de Venise. 

Les Rosso sont verriers de père en fils. Mais c’est un long apprentissage qu’il faut faire avant de devenir « maestro » et à la mort accidentelle de son père, Marco Rosso est encore un jeune chien fougueux qui pourrait faire sombrer l’atelier familial. Sa soeur, Orsola, a été initiée en secret à la fabrication des perles, à la lampe – comme toute fille, Orsola consacre ses journées aux activités domestiques de la maison, et ne sait ni lire ni écrire. Ses perles vont lui offrir un peu d’indépendance et lui donner la possibilité de sauver les Rosso de la ruine. Elles vont aussi lui ouvrir les portes de Venise, d’où ses perles partiront vers la « terraferma », traverseront les frontières et les mers. Bientôt, un fléau va s’abattre sur la cité lacustre: la peste va faire de terribles ravages, et les Rosso ne seront pas épargnés. 

A Venise, le temps a une autre dimension: comme les canes de verre d’un maestro, il s’étire infiniment. Comme le verre qui fusionne, il amalgame les siècles entre eux, dans une histoire intemporelle. C’est le temps « alla Veneziana ». Par un arc narratif aussi audacieux que déroutant, Tracy Chevalier nous invite à plonger dans l’histoire vénitienne, en l’inscrivant dans la grande marche de l’Histoire. Cette grande fresque donne à voir une cité qui va réussir à survivre à chaque fléau qui l’a dévastée.

Dans ce temps qui s’étire, Tracy Chevalier nous offre tout le loisir de suivre l’histoire d’Orsola et l’évolution de son art perlier – pourtant jugé bien dérisoire par les hommes. Equipée de sa lampe à suif, de canes de verre colorées, elle façonne les  perles au rythme de la flamme qu’elle active avec le soufflet – un jour ses perles feront de magnifiques parures qui traverseront les siècles. A travers Orsola, c’est aussi la condition féminine que Tracy Chevalier scrute à la loupe, plus que jamais « maestra » du voyage dans le temps.

Avec le talent romanesque, la précision historique qu’on lui connaît et sa capacité à explorer un sujet de façon si immersive que le verre n’aura plus de secrets pour nous, Tracy Chevalier nous offre un voyage unique. 

Sans en dévoiler plus (gardons les masques, comme au Carnaval) c’est certainement son roman le plus ambitieux, et aussi le plus risqué! J’avoue avoir eu quelques réserves sur son choix, j’aurais pu me contenter d’une narration simple et suivre Orsola selon la proposition de départ (tel un gondolier vénitien, je rame pour entretenir le mystère et j’aimerais tant en dire plus…), mais il faut reconnaître que la forme offre une perspective fantastique sur cette histoire – nous rappelant que le temps « alla Veneziana », c’est comme Vegas : tout ce qui se passe à Venise reste à Venise, et c’est le coeur lourd qu’on le comprend, lorsque le clap de fin tombe, envoûtés par le charme de la cité éternelle.

Traduction: Anouk Neuhoff

Titre: la fileuse de verre (The Glassmaker)

Auteur: Tracy Chevalier

Editeur: La Table ronde

Parution: mais 2024

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