Nous voulons tous être sauvés

couverture du livre Nous voulons tous être sauvés

Depuis le jour de ma naissance, je ne fais que semer le désordre: des excès en pagaille, des impulsions que j’ai suivies sans réfléchir, dans le bonheur comme dans le malheur. C’est la seule façon de vivre que je connaisse, je n’arrive pas à échapper à cette férocité; s’il y a un sommet, il faut que je l’atteigne; s’il y a un abîme, il faut que je le touche ».

Daniele a vingt ans, et il vient d’intégrer l’unité psychiatrique d’un hôpital pour une semaine – une hospitalisation sans consentement, suite à un énième excès, pendant laquelle il devra se soumettre à des soins.

Derrière ce trop plein de fêtes, d’absorption de substances chimiques en tout genre, de moments euphoriques et de chutes vertigineuses, Daniele cherche désespérément un sens à la vie. Un sens qui lui explique ses peurs, la mort. Il éprouve une révolte constante pour le malheur des autres.

Soutenu par ses parents aussi aimants qu’impuissants, Daniele est allé de traitement en traitement depuis deux ans, mais aucun ne semble pouvoir l’aider à sortir de cet enfer solitaire.

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L’octopus et moi

Couverture du livre L'octopus et moi

C’est l’histoire d’une rencontre, et d’une renaissance.

En pleine nuit, sur l’isthme d’Eaglehawk Neck, en Tasmanie, Lucy sauve in extremis une pieuvre des roues d’une voiture. Mue par un instinct atavique, la pieuvre voulait gagner l’océan en traversant cette langue de terre, pour y pondre ses oeufs…

Mais Lucy ne peut éviter le choc avec la voiture, et elle chute lourdement – occasionnant des blessures salvatrices. 

« Elle est meurtrie, brisée et libérée »

Car la jeune femme se remet d’une double mastectomie – après l’épreuve du cancer, la reconstruction de sa poitrine a eu des conséquences inattendues, complexifiant la cohabitation de son nouveau « moi » avec les autres, et notamment son petit ami Jem. Lucy a perdu de vue celle qu’elle est.

Sa rencontre fortuite avec la pieuvre, ce regard échangé avec elle et le contact de son tentacule enroulé avec confiance autour de son poignet vont offrir à Lucy la possibilité d’une reconquête de soi, à travers les rencontres et les choix déterminants qu’elle va faire.

Cette histoire est d’une originalité et d’une beauté incroyable. 

Car Erin Hortle raconte d’une façon extraordinaire comment se tissent les liens (souvent invisibles) entre les hommes, les animaux, et la nature. Comment l’histoire est perçue, à hauteur d’homme, et à hauteur d’animal. 

Elle invente une langue aussi imagée que rythmique, où les animaux marins (pieuvre, phoques) chorégraphient l’histoire dans un ballet narratif poétique, sensoriel et émotionnel. 

Rarement il m’a été donné de lire des lignes aussi réalistes dans leur créativité, aussi criantes d’animalité. Rarement il m’a été donné de sentir à quel point les vies des hommes et des animaux faisaient écho les unes aux autres, pouvaient être aussi imbriquées les unes dans les autres.

Je laisse mon corps flotter d’avant en arrière et d’arrière en avant et d’arrière en arrière dans les courants les vagues qui bouillonnent tourbillonnent tout autour de moi et mes tentacules bouclent tournoient s’enroulent dans l’eau qui pétille contre moi et je suis légère je dérive je me laisse guider jusqu’à l’endroit où l’eau est pleine et languide où les courants ondulent en longues arches océans. Je touche-goûte-vois l’eau si propre si claire si pleine si prête si parfaite pour mes oeufs et l’eau s’enroule autour de moi et caresse ma douleur et mon corps est plein il est prêt.

« L’octopus et moi » est un roman engagé. Erin Hortle questionne le rapport au corps des femmes, la sexualisation des « attributs » féminins, et la réappropriation de notre corps.

Elle interroge également notre relation à l’écologie. Mais sa grande force est de laisser la place au doute, de ne pas se vouloir manichéenne ou moralisatrice.

Si vous avez eu la chance de voir le formidable documentaire « La sagesse de la pieuvre »  sur Netflix, « L’octopus et moi » résonnera particulièrement en vous.

Mais que vous l’ayez vu ou pas, je vous recommande à tous cette lecture lumineuse et vibrante, enveloppée de la beauté sauvage des paysages austraux.

Traduction: Valentine Leÿs

Titre: L’octopus et moi (The Octopus and I)

Auteur: Erin Hortle

Editeur: Dalva – poche chez 10/18

Parution : 2021 (poche 2022)

Daddy

Daddy
Emma Cline

Emma Cline fut un véritable coup de foudre littéraire lorsque son premier roman, « The Girls » (La Table Ronde, 2016), est sorti.

Dernièrement, nous l’avions retrouvée après cinq longues années de silence littéraire, avec le roman « Harvey » – si le roman était particulièrement incisif et déroutant, on n’y retrouvait pourtant pas l’écriture si particulière qui avait donné cette voix à « The Girls ».

C’est cette voix que j’ai recherchée dans Daddy, une série de dix nouvelles, comme des Polaroïds saisis sur le vif.

A travers ses nouvelles, Emma Cline nous fait entrer subrepticement par des brèches dans les vies de ses personnages, dont on saisit de brefs moments avant de devoir ressortir, les laissant à leur histoire – un peu frustrés parfois de la chute.

Dans la plupart des nouvelles, le ton à la fois mordant et désabusé des personnages m’a plus évoqué « Harvey » que « The Girls », et ce particulièrement lorsque les personnages de la nouvelle sont des hommes, souvent rendus (volontairement?) assez antipathiques.

Est-ce pour cette raison que j’ai plus apprécié les nouvelles où les personnages féminins sont au premier plan, et préféré Marion et A/S/L, où l’on approche davantage l’atmosphère de « The Girls »?

Ces nouvelles, si elles confirment une nouvelle fois le talent indéniable et la maturité littéraire d’Emma Cline, me laissent un léger goût de déception. On ressent derrière ces instantanés une vulnérabilité particulière, qui provoque un cynisme constant et répétitif. J’aimerais voir Emma Cline s’épanouir vers une littérature moins glacée et moins torturée.

Traduction : Jean Esch

Titre: Daddy (Daddy)

Auteur: Emma Cline

Editeur: La Table Ronde

Parution: septembre 2021

Où vivaient les gens heureux

Où vivaient les gens heureux, Joyce Maynard

« Où vivaient les gens heureux », pas encore sorti, était déjà annoncé comme « le grand roman », « le chef-d’oeuvre » de Joyce Maynard.

Après ma lecture, je me suis demandé à quoi tenait cette notion de « grand roman »: à la frise temporelle sur laquelle se déploie l’histoire? Ou au nombre de pages du livre (542, sans les remerciements).

Sur plus de quarante ans, nous suivons Eleanor, fille unique de parents avocats, mondains et plutôt dysfonctionnels, qui semblent toujours s’interroger sur la présence de leur fille dans leur vie. Lorsqu’ils meurent accidentellement, Eleanor a 16 ans, et se retrouve complètement seule, et inévitablement très vulnérable, ce qui lui vaudra une expérience terrible et profondément marquante. 

Alors Eleanor n’a qu’une idée en tête: trouver l’endroit où elle sera heureuse et où « Tout ce qui lui manquait deviendrait accessible ».

Elle achète une ferme dans le New Hampshire, rencontre Cam dont elle tombe amoureuse, et dans cette ferme, loin du monde, leur bonheur se construit. Trois enfants plus tard, Eleanor est épuisée, et Cam, lui, jouit de la vie comme il sait le faire, insouciant, détaché des contingences matérielles, même quand le couple n’a plus un dollar pour payer les factures. Leur couple se délite petit à petit jusqu’à ce qu’un bouleversement majeur survienne dans leurs vies, auquel leur mariage ne survivra pas. 

Quelques années plus tard, Eleanor est une femme à qui tout a échappé: ses enfants, son mari, sa si jolie ferme. Son bonheur. 

Ce roman parle des sacrifices auxquels une femme pense devoir consentir pour protéger ses enfants. Mais serions-nous prêt(e)s nous-mêmes aux renoncements qu’Eleanor va s’imposer?

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Les envolés

Les envolés, Etienne Kern
Gallimard

Au matin du 4 février 1912, équipé d’un improbable costume-parachute, il se jette du premier étage de la Tour Eiffel pour faire la démonstration de son invention.

Je tiens à l’existence , et je ne tenterais pas l’aventure si j’avais le plus petit doute de succès

Quelques secondes plus tard, il s’écrase sur le Champ de Mars. Les journalistes, les photographes, et même les caméras de cinéma étaient là pour immortaliser ce moment où Franz Reichelt, originaire de Bohème, était certain de triompher et faire fortune en inventant le premier parachute.

De lui, la postérité ne retiendra que cette chute grotesque, et la mort fixée pour la première fois sur une pellicule.

Pourquoi l’histoire de Franz Reichelt fascine-t-elle autant Etienne Kern?

C’était un siècle encore neuf, vierge des guerres qui bientôt allaient le traverser, un siècle jeune enthousiasmé par ces machines volantes qui s’élevaient tant bien que mal vers le ciel, ces faucheurs de marguerites (il vous reviendra peut-être en mémoire cette série diffusée à une époque où notre télévision ne comptait que trois chaînes) qui avaient encore tout à inventer. Jusqu’au parachute qui auraient pu sauver nombre d’entre eux qui périrent au nom du progrès – ou de l’inconscience.

Entre deux chapitres qui nous racontent le projet fou de cet homme attachant, dévoué, prévenant, formé à la couture à Vienne et qui s’installa à Paris comme tailleur du côté de l’Opéra, Etienne Kern s’interroge sur son attachement à l’histoire de Franz Reichelt, et sur ce qu’elle raconte de sa propre histoire.

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Avant l’été

Avant l'été Claudie Gallay Actes Sud

Elles sont cinq amies, dans une petite ville de province où tout le monde se connaît et où être soi-même quand on a des rêves trop grands devient compliqué.

Jess, Juliette, Camille, Boucle et Broussaille ont la vingtaine, et elles s’ennuient – elles sont à ce moment de leur vie où tout pourrait arriver, mais rien ne semble se passer, rien ne semble les pousser à vouloir avancer, coincées entre l’adolescence et la vie d’adulte.

Jess, la narratrice, est revenue habiter chez ses parents après sa rupture avec Antoine. Elle a retrouvé ses amies, mais la fleuriste chez qui elle travaillait l’a remplacée.

A la faveur de la Fête du Printemps, elles se lancent un défi qui va leur redonner de l’enthousiasme, et un objectif: faire un défilé de mode devant les habitants de leur ville.

Jess fait également la connaissance de Madame Barnes, la fille d’un ancien industriel de la ville revenue au pays pour vendre sa maison d’enfance.

Entre Jess et Madame Barnes, une amitié inattendue va se nouer. Mais cette amitié n’est pas du goût de Juliette, la meilleure amie de Jess qui travaillait pour la vieille dame avant qu’elle ne demande à Jess de la remplacer. Tiraillée entre son affection pour chacune, son envie d’élargir son horizon, sa peur de décevoir sa famille, Jess va se retrouver à un moment crucial de sa vie.

« Avant l’été » se lit comme le journal intime d’une jeune fille: Jess, à la première personne, au présent de l’indicatif, raconte le déroulé assez ennuyeux de ses journées. Tout ce qu’une jeune fille confie à son journal lui semble important, mais il l’est souvent très peu pour celui qui, par inadvertance, tomberait dessus. 

La vie de ces jeunes filles d’une autre époque nous paraît un peu désuète, naïve, innocente. Pourtant, Jess s’interroge de la même façon que tant de générations de jeunes filles.

Mais comment je m’y retrouve? Si on range les filles par catégorie, je fais partie desquelles, hein? De celles qui trahissent, des fidèles, des sentimentales, des émotives, des lâches, des salopes? Ou des connes? Je dois faire partie des connes, c’est ça, tu ne crois pas? J’ai un problème, un sacré problème!… Je veux tout! Comment je fais? »

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I am I am I am

I am I am I am de Maggie O'Farrell

Derrière chaque écrivain il y a une vie qui imprègne, volontairement ou non, son oeuvre. 

Maggie O’Farrell est depuis son premier roman une écrivaine à laquelle je me suis extrêmement attachée, autant par son écriture que par ses histoires, mais aussi parce que cette année de naissance que nous partageons me la rend plus proche, plus intime que n’importe quel écrivain. Et paradoxalement  aussi plus mystérieuse.

C’est probablement la raison pour laquelle je ne souhaitais pas lire ce « I am, I am, I am »: peur de profaner ce mystère, peur de pénétrer une sphère trop personnelle, peur, aussi, de partager la douleur de la chair éprouvée.

« I am I am I am » n’est pas un roman, c’est un récit de vie, de dix-sept moments de vie, où la vie de Maggie O’Farrell aurait pu basculer.

Frôler la mort n’a rien d’unique, rien de particulier. Ce genre d’expérience n’est pas rare; tout le monde, je pense, l’a déjà vécu à un moment un ou à un autre, peut-être sans même le savoir. La camionnette qui passe au ras de votre vélo, le médecin fatigué qui, finalement, décide de réviser votre dosage, le conducteur ivre que ses amis réussissent laborieusement à convaincre de leur donner ses clés de voiture, le train raté parce qu’on n’a pas entendu le réveil sonner, l’avion dans lequel on n’est pas monté, le virus que l’on n’a pas attrapé, l’agresseur que l’on n’a jamais croisé, le chemin jamais emprunté. Tous autant que nous sommes, nous allons à l’aveugle, nous soutirons du temps, nous empoignons les jours, nous échappons à nos destins, nous traversons à travers les failles du temps, sans nous douter qu’à tout moment le couperet peut tomber ».

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Hamnet

Maggie O’Farrell n’a cessé de me toucher depuis son premier roman – sa façon d’écrire, qui dit si bien l’intime, si intense et délicate, est une des plus belles que je connaisse.

Hamnet amorce un nouveau virage pour l’écrivaine irlandaise: le roman historique. Ne partez pas!! Je sais qu’il y en a parmi vous que ce genre littéraire fait fuir. Mais n’ayez pas peur, laissez-vous porter par la beauté universelle de son récit: elle nous emmène, nous tient la main, tandis qu’avec elle nous entrons chez le dramaturge le plus célèbre de tous les temps… que jamais Maggie O’Farrell ne nommera dans ce roman, comme pour le reléguer au rôle des figurants de son théâtre. 

Hamnet, c’est avant tout l’histoire déchirante d’une femme et d’un enfant, d’une mère et de son fils. 

Enceinte de trois mois, Agnes épouse le futur dramaturge alors qu’il n’est qu’un petit précepteur de latin, contre l’avis des familles respectives, Que le futur papa n’ai que dix-huit ans n’est pas le seul problème: Agnes, plus âgée, effraie les gens de la petite ville de Stratford par les pouvoirs sorciers qu’on lui prête: Agnes connaît le mystère de la forêt où elle fait voler sa crécerelle, elle sait guider les abeilles vers la ruche, possède le secret des plantes, elle a le don pour guérir. Agnes guérit tous ceux qui se présentent chez elle, broie les pétales, les racines, la rhubarbe séchée, la cannelle dans le mortier, prépare les décoctions. 

Désespérément, ce sont ces gestes qu’elle répète pour sauver, un jour d’été de 1596, sa petite Judith;  c’est avec ce même désespoir qu’Hamnet, le jumeau de Judith, est parti à la recherche de sa mère quelques heures plus tôt, alors que sa soeur, la moitié de son être, s’est écroulée sous le poids de la fièvre bubonique. Contre toute attente, c’est Hamnet qui va mourir, alors qu’il n’est qu’un jeune garçon de onze ans.

Une tâche reste donc à accomplir, et Agnes s’en chargera seule.
Elle attend le soir, que tout le monde ait quitté les lieux que le plus gros de son entourage soit couché.
L’eau sera pour sa main droite, avec quelques gouttes d’huile versée dedans au préalable. L’huile résistera, refusera de se mêler à l’eau, formera à sa surface de petits ronds dorés. Elle trempera et essorera le linge dedans.
Elle commence par le visage, par la partie supérieure du corps. Hamnet a un grand front, et ses cheveux sont implantés bas. Depuis quelque temps, il s’était mis à les mouiller, le matin, afin de les aplatir, en vain. Agnes les mouille, mais même dans la mort, ses cheveux n’obéissent pas. Tu vois, lui dit-elle, tu ne peux pas changer ce qui t’a été donné, tu ne peux pas altérer ce que la vie t’a attribué.
Il ne répond pas. 
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Normal People

Normal People Sally Rooney

Pourquoi, une fois adulte, trouve-t-on que l’adolescence est un des plus merveilleux moments de la vie – alors que la seule chose à laquelle on aspirait, adolescent, c’était de s’émanciper de cette prison et de toutes ses contingences?

Je cherche encore la réponse, et c’est probablement pour cette raison que je me délecte toujours des romans  d’apprentissage, qui sont autant d’indices pour retrouver le chemin de ces années disparues.

Connell et Marianne vivent cette période de leur vie avec les incertitudes qui lui sont propres. Aussi mignon que brillant, Connell est le garçon le plus populaire du lycée de leur petite ville irlandaise – il n’en est pas moins pétri de doutes sur la vie. Marianne, elle, est la fille la moins populaire, mais dotée d’une profonde intelligence, et tout semble glisser sur elle. Elle sait déjà que sa vie est ailleurs, loin de sa famille toxique et de cette province où elle n’a pas sa place.

Issus de deux milieux parfaitement opposés, Connell et Marianne vont pourtant s’aimer, dans le secret – que penseraient ceux du lycée, s’ils savaient qu’ils couchent ensemble? 

Et le malentendu s’installe. Car si on ne doute pas un seul instant de la sincérité de l’amour qui les lie, les non-dits n’en finissent pas de s’immiscer entre eux. Peur, gêne, timidité, malaise, tout est prétexte à les séparer alors que tout pourrait être si simple justement. 

Il avait mal aux yeux, il les a fermés. Il n’arrivait pas à comprendre comment ils avaient pu en arriver là, comment ils avaient laissé la discussion prendre cette tournure. Il était trop tard pour dire qu’il voulait rester chez elle, c’était clair, mais à quel moment de la conversation était-ce devenir trop tard? Il avait l’impression que c’était arrivé subitement. Il aurait voulu poser la tête sur la table et se mettre à pleurer comme un enfant. Mais il a rouvert les yeux.

Normal People, la série

Car ces deux-là sont naturellement faits pour être ensemble, tant dans leur corps que dans leur âme. Il est beaucoup question de sexe dans cette histoire, leur relation est aussi charnelle qu’intellectuelle. Durant les quatre années que décrit le roman, depuis la fin du lycée jusqu’aux années universitaires à Dublin, la relation entre Connell et Marianne n’est qu’allers et retours, où ils se cherchent entre amour et amitié, au coeur d’émotions débordantes conditionnées par leurs démons.

Il y avait chez Marianne une sauvagerie qu’il s’est appropriée un temps et lui a donné l’impression d’être comme elle, d’avoir la même blessure spirituelle innommable, et qu’aucun d’eux ne trouverait jamais sa place en ce monde. Mais il n’a jamais été aussi abîmé qu’elle. C’est seulement ce qu’il éprouvait à son contact.

Sally Rooney explore les affres de cette relation et de ces deux personnalités borderline, dans un style qui prend au dépourvu: à première vue, nous sommes dans la narration pure, directe, au présent, dialogues inclus dans le corps de texte sans donner le temps de repos qu’offriraient un tiret  et des guillemets. A première vue, donc, ce style semble afficher un désintérêt littéraire manifeste, mais ce n’est qu’un leurre, une posture intellectuelle dans laquelle Sally Rooney a réussi à retourner comme une crêpe mon scepticisme de départ. Elle nous place au coeur de l’histoire qui est en train de se vivre, par ces menus gestes anodins qui tout au long des pages accompagnent la narration: Marianne verse de l’eau chaude. Elle essuie la vitre avec la manche. Il demande l’heure qu’il est. Il se lève et retourne dans la salle. 

Parfois, il m’a semblé que l’auteure prêtait à ses personnages une maturité excessive par rapport à leur âge, mais peut-être est-ce aussi une différence générationnelle qui m’induit dans une erreur de jugement.

Et pourtant, donc, j’ai tourné les pages en apnée. Fascinée, aimantée, empathique, émue par la gravité des personnages, et par ce que l’histoire a à la fois d’universel et de si particulier. De brut et de pur. De sombre et de lumineux. De beau et de fatal.

Découvrir Sally Rooney à travers Normal People a été une expérience particulièrement forte que je suis incapable de vous expliquer aujourd’hui, si ce n’est qu’elle est forcément en lien avec la force implacable des émotions si vives de notre propre apprentissage de la vie.

La série, très fidèle au roman et que je vous conseille de regarder, participe à cette expérience immersive dans l’univers de Sally Rooney. 

Traduction: Stéphane Roques

Titre: Normal people

Auteur: Sally Rooney

Editeur: Editions de l’Olivier

Parution: mars 2021

Zoomania

Zoomania Abby Gens Actes Sud

Une tornade apocalyptique, quatre orphelins: voici le point de départ de cette histoire menée tambour battant par une auteure prodigieuse dont Zoomania est le deuxième roman (je n’ai pas lu le premier, Farallon Islands, mais je vous avoue que maintenant j’ai vraiment envie de m’y frotter).

Les enfants McCloud ont tout perdu dans la tornade qui a dévasté Mercy, Oklahoma, emportant leur maison, les vaches, les chevaux, et leur père. Réfugiés dans l’abri de la cave, ils ont survécu – mais leur vie dorénavant se résume au mobilhome d’un terrain de camping, dans un extrême dénuement. Darlene et Tucker, les aînés, ont pris en charge les deux benjamines Jane et Cora. Le choc de l’ouragan a été si violent que Cora, âgée de 6 ans à ce moment, a tout oublié de sa vie avant la tornade. Plus de souvenirs de son père, envolés avec lui. Quant à sa mère, cela ne fait aucune différence, elle n’en avait aucun: elle est morte en couches, à la naissance de Cora.

 Seuls, les quatre frères et soeurs se serrent les coudes, jusqu’au jour où Tucker se fâche avec Darlene et disparaît.

Trois ans après la tornade, l’usine de cosmétiques, le principal employeur du coin qui avait miraculeusement résisté, malgré un flot de déchets toxiques déversés dans l’environnement, explose sous l’effet d’une bombe. 

A travers les dégâts causés par la déflagration, les animaux de laboratoire s’échappent, comme libérés par une main vengeresse. 

Peu de temps après, Cora disparaît sans laisser de traces – et malgré les recherches de la police, nulle trace d’elle. Désemparée, Darlene ne veut cesser d’espérer – loin d’imaginer le périple que sa petite soeur est en train de vivre.

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