Le pays des autres

Le pays des autres Leila Slimani

Retour aux sources – c’est à son pays natal, le Maroc, et à l’histoire de sa famille, que Leïla Slimani a choisi de consacrer son troisième roman et premier tome d’une trilogie.

Le pays des autres, c’est l’histoire de Mathilde qui, au sortir de la guerre, a décidé de rattraper tout ce qu’elle n’a pas vécu pendant ces années de privation.

A la Libération, la jeune Alsacienne pleine de rêves rencontre Amine, le soldat marocain venu combattre pour la France, elle l’épouse et part le rejoindre au Maroc. 

A Meknès, les fantasmes d’exotisme dans lesquels Mathilde s’était projetée font place à une double déception: non seulement la vie au Maroc ne ressemble en rien aux romans de Karen Blixen ou Pearl Buck, mais surtout Amine, si amoureux et démonstratif en Alsace, s’est transformé en un homme austère, parfois violent, qui dédie ses journées aux pénibles travaux de sa fermette, juchée sur un terrain aride. 

Leurs différences culturelles, charmantes en Alsace, se chargent dès lors de tous les reproches. 

Parfois il ressentait un besoin violent et cruel de revenir à sa culture, d’aimer de tout coeur son dieu, sa langue et sa terre, et l’incompréhension de Mathilde le rendait fou. Il voulait une femme pareille à sa mère, qui le comprenne à demi-mot, qui ait la patience et l’abnégation de son peuple, qui parle peu et qui travaille beaucoup. Une femme qui l’attende le soir, silence et dévouée, et qui le regarderait manger et trouverait là tout son bonheur et toute sa gloire.  Mathilde faisait de lui un traitre et un hérétique.

Et pourtant, l’amour qui les unit, les efforts qu’Amine fait pour lui rendre hommage, sourdent tout au long du roman.

Isolée dans leur ferme avec ses deux enfants, moquée autant par les colons de la ville que par les « indigènes », Mathilde peine à trouver sa place dans ce pays qui n’est pas le sien.

Couvrant dix années depuis son arrivée à Meknès jusqu’à l’indépendance du protectorat, c’est une fresque romanesque forte et dense que nous offre Leila Slimani, se faisant formidable conteuse dans une narration aussi fluide que plaisante à lire.

Est-ce cette plongée dans les origines du mythe familial qui épanouit l’écriture de l’auteure goncourisée, moins sèche et plus ronde qu’on ne la connaissait ? 

Au-delà du style, qui se prête parfaitement à la fresque familiale, Leïla Slimani offre un regard personnel sur le Maroc, à focale variable. Celle des « indigènes », qui vont rejeter le colon européen. Celle des colons, pas seulement Mathilde mais aussi les différents européens qui jalonnent le roman. Et enfin, de façon plus implicite, la sienne, enfant issue de ce métissage, dont les boucles blondes serrées ne sont pas sans rappeler celles d’Aïcha, la fille de l’Alsacienne et du Marocain.

La trame romanesque, mêlée à l’Histoire, est déroulée avec finesse, sans jamais tomber dans l’ennui. Les scènes se succèdent avec une maîtrise parfaite qui atomise toute distance: nous sommes là, au coeur de l’action où tout est palpable. On retrouve la sensualité qu’aime exprimer Leïla Slimani, pas seulement au sens sexuel mais de façon plus large, et ses personnages sont parfaitement incarnés – les hommes sont menés par leur fierté et les femmes par leur désir de vivre et de s’émanciper. Tous les ingrédients pour nous réjouir de voir venir les deux prochains tomes.

Titre: Le pays des autres

Auteur: Leïla Slimani

Editeur: Gallimard

Parution: 2020

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