
Les chances de s’élever de sa condition sociale sont bien minces, quand on grandit dans les quartiers pourris de Cork auprès d’un père alcoolique ou malfrat.
Celui de Ryan, Tony Cusack, est les deux à la fois: un gros alcoolique et un petit malfrat pas très courageux, mais il est impossible de refuser quelque chose à Jimmy Phelan, le caïd de Cork, quand on est veuf et qu’on a six gosses à charge – même quand vous savez que ça vous collera à la peau comme la merde poisseuse dans laquelle le-dit Jimmy fait sombrer ses proies.
Ryan a quinze ans, s’ennuie au lycée malgré une intelligence très au-dessus de la moyenne, il est fou amoureux de Karine d’Arcy avec laquelle il découvre ses premiers émois charnels. Et il deale. Après tout, il est un Cusack.
Mais justement, être un Cusack comme son père, ça lui répugne, et Ryan n’a qu’une envie: reprendre la main sur ce destin qu’on a tracé pour lui.
Sauf que Jimmy Phelan, allez savoir pourquoi, a ramené à Cork Maureen, sa pécheresse de mère qui l’a abandonné à sa naissance quarante ans plus tôt, contrainte par la fervente Irlande catholique. Il l’a installée dans un ancien bordel qu’il gérait parmi tant d’affaires crapuleuses, et veille à distance sur elle, partagé entre des sentiments qu’il tient aussi loin de lui que possible. Quand on s’appelle Jimmy Phelan, on n’a pas de sentiments.
On avait expliqué à James Phelan, avec une raide et froide dignité, que Maureen-de-Londres était sa vraie mère, qu’il ne devait plus y penser, mais il était quand même revenu à la charge une fois qu’Una eut desserré son emprise sur le monde en expirant dans le lit conjugal en présence d’une assemblée de gravures représentant des jésus efféminés. Bien d’autres garçons et filles grandirent avec, dans la poitrine, un trou aussi béant que la chrétienne fente qui les avait expulsés dans le vaste monde
Mais voilà, le jour où Maureen tue par inadvertance un grand gaillard qui s’est introduit pour voler dieu sait quoi dans l’ancien bordel, lui défonçant le crâne à coups de la Sainte-Caillasse, une de ses bondieuseries, tout bascule dans la petite vie bien rodée à la bière et aux coups de Tony Cusack – et par ricochet, dans celle de Ryan.

crédit photo @mosesvega
Tour à tour défilent les autres protagonistes de l’histoire: le fantôme de Robbie O’Donovan tué par la Sainte-Caillasse, Georgie sa petite amie camée et prostituée, Tara Duane la voisine fouineuse et sans moralité des Cusack. On y croise tout ce que les bas-fonds de Cork rassemblent de noirceur, entre la drogue, le sexe, et le meurtre – on n’hésite jamais à se débarrasser de ceux qui gênent en mettant des contrats sur leur tête.
On n’est pas dans une Irlande de carte postale au vert bucolique.
Dans Hérésies Glorieuses, c’est une Irlande agonisante où les perspectives d’avenir semblent inexistantes. Ça revient comme une rengaine tout au long du roman, le pays est foutu. Cork rassemble toute la misère, en plus des péchés de la très catholique Irlande. Maureen, prenant des airs de Ma Dalton, est bien décidée à se venger de cette Irlande puritaine qui a ruiné des milliers de vies, à commencer par la sienne, et le Mec d’En-haut n’a qu’a bien se tenir – tout comme son fiston.
Ryan, lui, promène sa rage « comme un sac de chatons couinants; pas moyen de noyer ça ». Qui sait s’il ne serait pas devenu le petit prodige de Cork, si son père ne s’était pas débarrassé du piano familial en le refourguant à Jimmy Phelan. Au lieu de ça, les doigts de Ryan qui fourmillaient de l’envie de jouer se sont dégourdis en passant de main à main des sachets de coke et d’ecstasy, faisant de lui le petit Mozart assassiné de Saint-Exupéry, l’enfant sacrifié sur l’autel de la dope.
Le pas était fier et plein d’aisance. Torse bombé, épaules en arrière, l’allure massive du mec bien burné. Roulage de mécaniques mis en place sitôt les larmes séchées. Une fois l’école finie pour lui, il avait eu une dernière engueulade avec son père, improductive vu qu’entre le haut-le-coeur et la masse brûlante de chagrin puéril il avait la gorge trop serrée pour expulser les mots de son ventre.
Qui n’est pas sacrifié, d’ailleurs, dans ce roman? Toutes les vies que l’on croise semblent vouées à s’abîmer, sans grand espoir de retour.
Il y en a de la noirceur, et pourtant, Hérésies Glorieuses est un bijou littéraire vif, acide, bourré d’humour et totalement vibrant de tendresse. C’est un de ces premiers romans qui vous laisse sur le flanc, car tout y est, surtout ce à quoi vous ne vous seriez pas attendus: une construction au rythme parfait, découpée entre l’histoire vécue par les différents personnages et entrecoupée des monologues de Ryan, anti-héros sensible et flamboyant qui nous bouleverse par son effroyable inconscience et aussi par la force de ce premier amour qui le lie à Karine.
Et une écriture sidérante, à la fois crue, réaliste, burlesque et poétique. Une de ces écritures sur laquelle on revient sans cesse, tant elle nous bluffe par son inventivité – et on ne peut que saluer le travail émérite de la traductrice Catherine Richard-Mas.
Enorme coup de coeur, ce roman figurera désormais en bonne place parmi mes romans préférés.
Dans la continuité de ce roman, Lisa McInerney a écrit Miracles du sang, qui reprend son personnage emblématique Ryan Cusack – je vais me le procurer de toute urgence et forcément vous en reparler…
Lisa McInerney est née en 1981 et elle est l’auteure de cinq nouvelles et la créatrice du blog Arse End of Ireland, où elle dépeint la vie de la classe ouvrière avec cynisme.
Titre: Hérésies glorieuses (The Glorious Heresies)
Auteur: Lisa McInerney
Editeur: Gallimard – Joelle Losfeld 2017 / La Table ronde 2020
Parution: mai 2020
J’attends un peu pour le commander ( j’ai fait beaucoup de craquages e…) mais il est noté !
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Ahah ! C’était le danger en sortant de confinement !! De mon côté j’ai été stoppée net dans ma frénésie car la dernière sélection du Grand Prix de l’Heroine a pointé son nez au moment où j’envisageais de grosses bêtises…! Je connais mes deux prochains achats: la suite de celui-ci évidemment et le nouveau Elena Ferrante que j’ai déjà fait réserver chez mon libraire !!!
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Que du bon qui t’attend !
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