C’est sur la plage de Monopoli, une petite ville des Pouilles connue pour son joli port fortifié, que Julien Sauvage rencontre l’incendiaire Laura.
Après quelques années nourries des hauts et des bas d’un amour insensé, suivies d’une rupture incompréhensible qui lui fait abandonner sa thèse sur la réintroduction des « belles infidèles » dans les traductions contemporaines, Julien est devenu traducteur à la petite semaine, plus abonné aux guides touristiques et gastronomiques qu’à la littérature.
Aussi, lorsqu’il est contacté, sur recommandation, par une grande maison d’édition parisienne pour traduire le roman italien du moment en lice pour le Strega, Rebus, Julien est éberlué – mais il accepte la mission et se lance tant bien que mal dans la traduction.
Au fur et à mesure qu’il avance, le roman le ramène en Italie… et commence à faire bizarrement écho à sa vie.
Le personnage principal de Rebus revient dans les Pouilles, où son père vient de mourir – qui mieux que Julien, qui fait le deuil de sa mère, pour traduire ce qu’il ressent?
Julien s’interroge: qui est l’auteur de Rebus, le fringant Agostino Leonelli à qui tout semble réussir, alors que lui ne fait que stagner dans le néant?
Son succès commence à obséder Julien, qui essaie désespérément d’écrire le roman de son histoire d’amour avec Laura. Laura aussi sulfureuse que Rachele, la jeune femme que le protagoniste rencontre dès son arrivée dans les Pouilles. En commun, elles ont sur le ventre, autour du nombril, des grains de beauté qui rappellent la constellation de la Grande Ourse – et une façon bien à elle de montrer qu’elles sont sur le point de jouir…
Alors que Julien aurait bien besoin de l’aide de son ami libraire Salvatore pour aborder une partie de la traduction, celui-ci prend soudain ses distances avec Julien. Tout le petit monde et et les souvenirs auxquels il se raccrochait semblent chahutés et le trouble s’insinue de plus en plus, entre fiction et réalité…
Monopoli, Août 2015
On ne guérit pas d’une peau, d’un ventre, d’une frange de cils ourlés par le sel. On ne guérit pas d’un chignon blondi au soleil, humide et chaud comme un nid d’oiseau. On ne guérit pas de la goutte d’eau qui s’évapore avant de s’être échouée dans le repli d’une clavicule.
On ne guérit pas: je ne guéris pas. J’ai rencontré Laura sur une plage, je l’ai aimée à Bari, à Rome, à Paris. Dans les Pouilles irradiées d’été, dans les quatre saisons romaines et sous les nuées d’oiseaux qui forment de grands V au-dessus des toits en terrasse, dans un Paris aux vitres de métro embuées (…)
Dans les faits, ce premier roman avait tout pour me plaire.
A lui seul, le très beau titre est une invitation, Belle infidèle, faisant référence à la liberté en traduction qui privilégie l’élégance du rendu final plutôt que la fidélité au texte, mais pouvant être doublement interprété…
Vient ensuite la qualité littéraire du roman, nourri par de superbes envolées de la plume de Romane Lafore, elle-même traductrice de l’italien et éditrice. Sensuelle, hypnotique, poétique – je me suis prise à relire certaines phrases dont la perfection m’a impressionnée.
Combien me parut souple l’italien, une fois que j’ai appris à le glisser tout entier dans ma bouche comme un gros caramel mou, tantôt lourd et plein dans le fond de ma gorge, baignant mes amygdales de voyelles charnues que je n’avais plus peur de faire résonner depuis mes lèvres ouvertes jusqu’au fond de mes entrailles, tantôt taquin quand je le titillais du bout de la langue pour en faire tinter des « r » à peine frottés contre l’arrière de mes incisives, retournant et lustrant sous ma langue autrefois gourde ce bonbon qui en fondant libérait son sucre entre les parois de mes joues et imposait à mon souffle une cadence faite de longues déglutitions et de pics de glycémie, m’obligeant, moi, le fils du silence, à épouser de ma voix le rythme d’une vague marine, suspendu dans les syllabes atones, guettant le moment où, de toute la force de mes poumons, j’allais la projeter dans le fracas d’un accent tonique. J’éprouve toujours un bonheur physique à dire le mot caffè.
Il y a la beauté de l’Italie, évidemment, siège de Rebus et des amours de Julien et Laura – l’histoire, pour autant, se passe essentiellement à Paris.
Et puis j’ai aimé l’approche du travail de traduction, l’implication du lecteur dans la recherche du meilleur mot, celui qui colle le mieux à l’esprit de Rebus. Romane Lafore nous ouvre les portes du monde de l’édition, des égos démesurés et de ceux qu’on étouffe parceque les places sont chères au sein de maisons prestigieuses.
Mais voilà, je me suis aussi ennuyée.
Le roman, dans le roman, m’a donné le sentiment de tourner en rond, et certaines longueurs m’ont profondément incommodée. L’histoire m’est apparue de moins en moins crédible, notamment dans le rapport entre le brillant Agostino et ce loser de Julien, qui devient de plus en plus antipathique au fil des pages.
La fin offre cependant un joli pied de nez et à l’histoire et au titre.
Titre: Belle infidèle
Auteur: Romane Lafore
Editeur: Stock – collection Arpège
Parution: 2019