
Parmi mes lectures, l’art revient souvent – j’aime explorer la peinture et les courants artistiques à travers des biographies d’artistes et des romans. Une façon de compenser un peu ma frustration de ne pas avoir étudié l’histoire de l’art, en quelque sorte.
Pour les mêmes raisons, j’adore me nourrir d’expositions et de musées, et encore plus écouter des conférenciers passionnés me parler d’art.
Aussi, lorsque j’ai appris il y a quelques mois qu’Hector Obalk donnait un spectacle sur l’histoire de la peinture, j’ai immédiatement réservé des places.
Flashback: il y a des années de cela, Hector Obalk tenait une chronique d’art dans le Elle. C’était une des premières pages que je lisais, chaque semaine. Par un détail sur un tableau, il avait cette capacité à nous transporter dans l’oeuvre en nous donnant le sentiment de toucher de notre doigt inculte l’expertise de l’artiste.
A travers cette courte chronique hebdomadaire pointaient déjà le piquant et la saveur que l’on trouverait dans Grand Art, programme dans lequel Hector Obalk aimait se mettre en scène, pitre érudit au service de l’art.
Le public, Hector Obalk l’aime. Ou peut-être aime-t-il juste avoir un public.
En tous les cas ça fonctionne, ça fusionne.
Donc dimanche dernier, après des reports liés à vous savez quoi depuis le mois de mars, Hector Obalk donnait enfin une nouvelle représentation de « Toute l’histoire de la peinture en deux heures » au Théâtre de l’Atelier.
2 heures et 4000 tableaux
Sur scène, derrière lui, une mosaïque de 4000 tableaux. Zoom avant, zoom arrière, allers retours opérés par un technicien que le maestro téléguidait depuis la scène, tandis qu’il faisait jouer tantôt un violoncelliste, tantôt une violoniste au rythme de ses fougueuses interprétations picturales.
4000 tableaux pour couvrir allegretto deux heures de représentation. Soit huit siècles de peinture! Fastoche.
Vous êtes partants vous aussi? Alors suivez-vous moi dans ce tourbillon artistique.
Un grand voyage qui démarre au 14ème siècle
Démarrage sous les ors du 14ème siècle, ces tableaux touts dorés qu’on passe vite dans les musées. Giotto et son St François d’Assise prêchant aux oiseaux – un peu de moquerie (oh les mains toutes petites de St François, l’anatomie n’était pas encore le point fort des peintres) pour cacher l’émotion que suscitent éparpillés par petits bouts façon puzzle (vous avez forcément la référence) les détails du tableau.
1420, Obalk démontre avec Fra Angelico que le savoir-faire des peintres croît – dans la prédelle du Couronnement de la vierge c’est un schéma narratif façon BD qui se met en place, et la passion d’Obalk qui accroche nos regards sur les détails.
C’est fantastique, et de l’orchestre aux balcons en passant par la corbeille, nous sommes tous extatiques, en même temps que ça rit derrière nos masques Deux tableaux, une demi-heure, reste une heure trente, 3898 tableaux – il va forcément y arriver.
La grande histoire de la peinture avance. On quitte les perspectives en boîtes à chaussures de Fra Angelico, on va vers le Nord chez les flamants, meilleurs mais pas en tout, mais en textures sûrement: démonstration par A + B avec Van Eyck et son tableau des époux Amolfini. Obalk nous ramène toujours aux proportions réelles du tableau (tout petit) pour nous exposer la perfection du détail, et ce qui fait la beauté absolue du tableau, le détail qui change tout: non pas les verroteries à gauche d’un sublime miroir qui nous montre la face cachée du tableau, mais à son sens cette paire de socques abandonnées au sol, sales de boue tranchant dans la richesse du décor.
Nous n’en sommes qu’aux alentours de 1450/60 et repartons en Italie. Les italiens ont progressé! Atmosphérisation du tableau, brillance, l’air s’est engouffré et nourrit l’espace. Bond en 1500/1520, et Raphaël avec son style plus précis, et sa petite dose d’érotisme.
Quelle heure est-il? Midi? (oui, le spectacle était en matinée) Une heure a déjà passé, mais la Renaissance, siècle des progrès techniques, se profile soudain. Jusqu’ici, l’histoire de l’art était l’histoire d’un progrès artistique, où tout était à inventer. Avec Michel-Ange, et surtout avec La Déposition de Pontormo, Obalk se prête à une démonstration burlesque sur le maniérisme et son inventivité anatomique. Comment ne pas voir dans ses contorsions une belle imitation des poses improbables des « selfistes » d’Instagram?
Fort de l’hilarité de la salle, le critique d’art nous entraîne vers le maniérisme flamant, et nous montre comment de simples pommes toutes boursouflées représentent toute la caractéristique de Gossaert – de fruits en fleurs, c’est au tour d’Arcimboldo (était-ce vraiment nécessaire de perdre de si précieuses minutes avec lui?).
Du Caravage à Rembrandt
Retour au sérieux avec le Caravage et son sens de la composition, le naturel de sa géométrie qui fait abdiquer le maniérisme. Dans son sillage, de La Tour, et surtout Velasquez avec son art de la suggestion. Nous ouvrons les yeux face au génie, surtout lorsqu’il est mis à côté d’un copiste qui a photoshopé et atomisé l’essence même de son art.
Rembrandt arrive, l’heure tourne. 12h30 et nous quittons le siècle d’or pour le 18ème et les mièvreries de Fragonard – Obalk nous parle de boue touillée avec le pinceau qui n’empêche pas la lumière de passer. Et c’est exactement ça, lorsque « Renaud entre dans la forêt enchantée ».
Violon et violoncelle poursuivent leurs intermèdes.
Combien de temps nous reste-il pour aller jusqu’au 20ème siècle? Si peu.
Vers l’art moderne et le dédain feint de l’art contemporain
Nous courons vers la deuxième moitié du 19ème, et ce grand chamboulement artistique qui ouvre une fenêtre sur l’art moderne avec une expression artistique plus directe. Ils sont deux, en presque fin de course. Monet, et Cézanne au bord de l’abstraction, avec cette texture particulière sur laquelle Obalk met ces mots picturalement parfaits qui soudain m’éclairent: une texture « sèche et calcaire ».
Encore combien de minutes? Cinq peut-être?
Klein tombe comme un couperet. La rupture, la fin de la transmission.
Quel est l’intérêt de l’art contemporain? Obalk provoque en n’accordant que dédain à Basquiat, mais clôture avec une tendresse admirative pour François Boisrond, qui à ses yeux semble avoir retenu les leçons de la grande histoire de l’art.
Bonne nouvelle pour ceux que cela intéresserait, Hector Obalk donne une autre version de ce spectacle à l’Olympia…
Toute l’histoire de la peinture en moins de deux heures
Spectacle de Hector Obalk