L’histoire de Ma cousine Rachel se situe en Cornouailles, au 19ème siècle, et n’est pas sans évoquer les œuvres de Jane Austen ou des sœurs Brontë, chères à Daphné du Maurier.
Philipp Ashley, orphelin depuis son plus jeune âge, a été élevé par son cousin Ambroise, de 20 ans son aîné. Dans leur manoir, ils vivent entourés de domestiques fidèles à leur maître, célibataire endurci. Ce dernier, souffrant de rhumatismes, va passer ses hivers dans le sud de l’Europe. A l’occasion d’un voyage en Italie, il rencontre à Florence une cousine lointaine, Rachel – qu’il épouse à la surprise de tous. Passé l’enchantement des premiers mois, livré par Ambroise dans ses missives à Philipp, le jeune marié se met à souffrir d’un mal mystérieux. Alerté par une lettre particulièrement alarmante, Philipp entreprend un voyage à Florence mais il arrive trop tard : son cousin a été vaincu par son mal 3 semaines plus tôt. Point de trace de la veuve Rachel, qui a disparu en emportant toutes les affaires du défunt. De retour en Cornouailles, Philipp apprend que Rachel va venir le rencontrer. Persuadé qu’elle est responsable de la mort d’Ambroise, Philipp est très réticent à accueillir cette intruse qu’il a d’emblée détestée dans les lettres d’Ambroise, jaloux que celle-ci lui vole son cousin. Aussi est-il surpris lorsqu’il fait sa connaissance : loin de lui la vieille fille qu’il avait imaginée, Rachel est aussi charmante que ravissante. Par sa gaité, son entreprise et son charme, Rachel ramène la vie au manoir. Mieux, elle l’auréole de la grâce qui avait manqué à cette maison d’hommes. Et bientôt, sans comprendre ce qu’il lui arrive, Philipp tombe fou amoureux de Rachel. Mais ses soupçons envers elle ne cessent de venir le troubler. Qui est vraiment Rachel, quelles sont ses intentions ? Devenu l’héritier unique du domaine et de tous les biens d’Ambroise, Rachel est-elle en quête d’une part de l’héritage auquel elle n’a pas eu droit, ou est-elle juste une jeune femme désœuvrée et triste qui veut seulement se rapprocher de son mari disparu en séduisant un jeune homme naïf?
On peut dire que Daphné du Maurier entretient dans ce roman un magistral art du suspense. Quelle habileté à nous faire emprunter les chemins du doute et du soupçon ! Mais tout cela ne serait rien sans des personnages riches et complexes. Car au-delà des personnages principaux, Daphné du Maurier donne vie à toute une galerie de personnages, que des descriptions physiques et psychologiques particulièrement fortes ne relèguent pas dans un second plan obscur. La vie domestique y prend des airs de Downton Abbey, à l’image de Seeccombe le fidèle majordome aux faux airs du sérieux Carson de la série. Daphné du Maurier sait aussi évoquer le trouble de l’amour et la sensualité.
Le lecteur est d’emblée en empathie avec Philipp, le narrateur. L’orphelin, dont la seule famille était Ambroise, est profondément atteint lorsque son cousin meurt. Philipp est le portrait vivant et troublant d’Ambroise. A la mort de celui-ci, il devient le nouveau maître du domaine, acquérant un nouveau statut et une nouvelle aura. Mais Philipp est un jeune homme naïf, qui connaît peu le monde en dehors de son domaine. Sa naïveté et son aveuglement sont parfois insoutenables. Mais quel jeune homme aussi peu expérimenté ne le serait pas face à une femme comme Rachel ? Ses décisions laissent le lecteur pantois. Pourquoi détruit-il les preuves qui pourraient accabler Rachel, pourquoi prend-t-il des décisions en faveur de sa cousine qui le condamnent à la ruine alors qu’il la découverte outrageusement dépensière et nourrit envers elle des soupçons très vraisemblablement fondés ? Et d’une manière plus générale, Philipp est-il le double masculin que Daphné du Maurier s’est inventé depuis sa plus tendre enfance, Eric Avon ?
Mais bien sûr, le personnage le plus complexe est la cousine Rachel, tellement insaisissable. Qui est-elle ? Avant de faire sa connaissance, le lecteur s’interroge en même temps que Philipp qui l’a longtemps imaginée comme une vieille fille laide et méchante.
Depuis mon voyage à la villa, elle était devenue une espèce de monstre plus grand que nature. Ses yeux étaient d’un noir d’abîme, ses traits aquilins comme ceux de Rainaldi, et elle circulait à travers les salles moisies de la villa, silencieuse et sinueuse comme un serpent
Aussi est-il surpris lors de la première rencontre :
Elle était vêtue d’un noir mat qui retirait toute couleur à son visage, et il y avait de la dentelle à son cou et à ses poignets. Ses cheveux étaient bruns, partagés par une raie au milieu et noués en chignon sur la nuque, ses traits étaient nets et réguliers. La seule chose qu’elle eût de grand, c’étaient les yeux qui, à ma vue, s’élargirent avec un regard qui semblait soudain me reconnaître, surpris comme les yeux d’une biche (…)
Elle subjugue d’abord par son charme, sa beauté et sa féminité, sa sensualité. Est-elle séductrice ? Sûrement. Rachel séduit les hommes du domaine, le vicaire, les femmes, le village et même les chiens du manoir qui ne la quittent plus. Et très vite, fatalement, Philipp. Son comportement ambigu envers Philipp interroge beaucoup. Est-elle manipulatrice ? Est-elle sincère ? Rachel reste une énigme, elle utilise son intelligence à merveille. Est-elle détachée ou intéressée ? Intrigante ? Un peu sorcière par les charmes dont elle use et les potions qu’elle concocte ? Innocente ou meurtrière ? Chacun se fera son idée, mais j’ai la mienne…
Ce roman envoûtant séduira particulièrement tous ceux qui ont aimé Rebecca, que Ma cousine Rachel rejoint sous plusieurs aspects: le manoir (cher au cœur de l’écrivaine), les Cornouailles, l’ombre d’un défunt qui plane sur le couple (même si ici la notion de couple est beaucoup moins définie que dans Rebecca), une rencontre à l’étranger (le Sud de la France dans Rebecca, l’Italie dans Ma cousine Rachel), un intrigant (Rainaldi dans Ma cousine Rachel, le cousin de Rebecca dans Rebecca). Mais on peut se demander si, tout comme Rebecca l’a subi il y a quelques temps, un petit lifting avec une traduction plus récente ne serait pas nécessaire pour rafraîchir l’œuvre de Daphné du Maurier, sur laquelle peut subsister des questionnements quant à la qualité des traductions françaises, lorsque l’on sait combien Rebecca a souffert d’approximations voire de coupures dans son ancienne traduction !
A l’instar de plusieurs romans de Daphné du Maurier, Ma cousine Rachel a fait l’objet d’un film en 1952, réalisé par Henry Coster. Une nouvelle version cinématographique réalisée par Roger Michell sortira en septembre, avec dans le rôle titre la superbe Rachel Weisz. Déjà noté sur mon agenda.
Et pour tous ceux qui souhaiteraient se rapprocher de l’univers de Daphné du Maurier, je conseille vivement la très belle, très fouillée et très complète biographie de Tatiana du Rosnay, Manderley for ever.
Titre : Ma cousine Rachel
Auteur : Daphné du Maurier
Parution : 1952
Editeur : Albin Michel
Bon j’ai envie de le lire maintenant, j’avais lu Rebecca que j’avais adoré et que j’ai envie de relire maintenant et j’aimerai bien lui découvrir d’autre oeuvre. Et j’ai regardé la BA et ce n’est pas ce que je m’imaginais, genre période du 18ème siècle, je pensais que ça serait plus une époque du XXème.
J’aimeAimé par 1 personne
c’est le 19e, mais l’histest universelle ! Je suis certaine que tu vas adorer le roman. Belle soirée !
J’aimeAimé par 1 personne