Les animaux

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1996 – Bill Reed vit au cœur de la forêt, dans l’Idaho, entouré des animaux sauvages de son refuge. Il leur consacre sa vie, loin du monde, épaulé par Bess son assistante, deux bénévoles et surtout  Grace sa fiancée vétérinaire. Tous sont aussi passionnés que lui. Lorsqu’un animal est retrouvé blessé, renversé par une voiture, coincé dans un grillage, c’est Bill qui est appelé à la rescousse pour le sauver – ou abréger ses souffrances. Mais ce refuge n’est pas du goût de tout le monde, et Bill, après des années de tranquillité, sent poindre la menace  de l’inspection de Chasse et Pêche, qui voit d’un mauvais œil ces animaux estropiés vivre dans des enclos, et pourrait l’obliger à fermer le refuge. Aussi, lorsqu’en plus réapparaît  Rick, un ami de jeunesse de Bill qui sort de prison, sa vie jusque-là si préservée se retrouve au bord du précipice. Car Bill a bâti cette vie simple et retirée du monde sur un mensonge, et il ne veut pas tout perdre à cause de son passé qui le rattrape.

Un beau jour, il s’était réveillé au sein de l’existence qui lui faisait envie depuis toujours et vers laquelle tous ses mauvais choix l’avaient mené à son insu, une idée qui le laissait incrédule, et qu’il aurait jugée grotesque si quelqu’un d’autre la lui avait exposée. Mais finalement Rick était revenu, et tout s’était désagrégé en une myriade de questions obscures et sans issue

Alternant flashbacks et présent, l’écrivain amène le lecteur à comprendre peu à peu l’histoire.

La mise en bouche est  un peu laborieuse, car sur les cent premières pages, on peut éprouver des difficultés à comprendre le cheminement de Christian Kiefer et de ses personnages. A cela s’ajoute un récit qui passe de la troisième personne à la deuxième personne du singulier de façon un peu déstabilisante. Mais une fois passés ces petits écueils, cette lecture vous happe tout entier !

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La nature y est magistrale. Que ce soit à travers les descriptions du désert du Nevada, où Bill et Rick ont grandi – l’armoise y court sur la surface à l’infini et on y devine la chaleur poussiéreuse qui ondule, ou dans la grandeur insondable et mystérieuse des forêts de l’Idaho : Christian Kiefer se révèle un maître du Nature Writing, avec une force évocatrice captivante. Cette force d’évocation atteint l’absolu par la présence presque charnelle des animaux. Les animaux sont le fil d’Ariane de la vie de Bill : les émissions de Marlin Perkins les dimanches soir de son enfance, le faucon secouru dans le désert, le lion dans le casino qui prend la pose avec les visiteurs appâté par un morceau de viande suspendu à un crochet et tous ces autres animaux qu’il sauve de la mort et n’ose pas rendre à la vie sauvage.

Est-ce cette même puissance animale qui l’a séduit dans son amitié avec Bill ? « Déjà, au cours de la première année de votre amitié, tu te demandes ce qui le pousse, ce qui le motive ainsi. Il est partout à la fois. Plus tard, tu comprendras que sa mobilité est  celle d’un animal qui teste la résistance d’une barrière, à la recherche du point faible ».

Rick appartenait à la race des survivants, tel le loup ou un coyote, un canidé sorti du désert pleinement préparé à sa survie, armé de dents et de griffes

Est-ce la possibilité d’une part d’humanité qui rend la relation de Bill aux animaux aussi intense ? La relation fusionnelle qu’il entretient depuis l’enfance avec  l’ours Majer transcende le récit et l’histoire de Bill – et bouleverse le lecteur, qui n’a jamais dû avoir auparavant la sensation de ressentir aussi précisément ce qu’est un grizzli, ce qu’est ETRE un grizzli – oui, rien moins que ça !

Si les animaux tiennent une place majeure dans l’histoire, le roman parle aussi d’amitié, de faiblesse, de trahison, de rédemption, de vengeance. Une amitié entre deux garçons qui ont connu la misère, la violence familiale, la délinquance, la prison, le jeu, la dépendance, la trahison. Des garçons qui sont devenus des hommes qui se haïssent. Même si on prend parti au cours de l’histoire, leur évolution montre des personnages qui ne sont ni tous blancs ni tous noirs : Bill a certes trouvé une certaine rédemption dans sa vie au refuge (d’ailleurs, le terme est intéressant : est-ce le refuge des animaux, ou celui de Bill ?), mais celui qu’il fut dans sa jeunesse est loin d’avoir les qualités du personnage qu’il est devenu. Quant à Rick, aujourd’hui vieilli prématurément par la prison, amer et marqué par la vie, n’est-il pas compréhensible qu’il soit animé d’un esprit de vengeance envers celui qui était son ami et dont il s’est toujours soucié et occupé comme un frère ? C’est l’histoire de cette belle amitié masculine, de sa fin et de ses ravages que narre également Christian Kiefer. Et si l’on prend forcément parti au cours de l’histoire, on ne peut s’empêcher d’éprouver une certaine compassion pour Rick, qui n’est peut-être pas tant le bourreau que la victime, malgré son terrible geste final.

Christian Kiefer nous offre avec Les animaux un roman d’une grande qualité littéraire, servi par la superbe écriture d’un grand écrivain en puissance. Il faut saluer le travail de traduction de Marina Boraso, qui a su restituer l’univers si particulier de l’auteur, la profondeur et l’exigence de sa langue.

 

Titre : Les animaux (The animals)

Auteur : Christian Kiefer

Editeur : Albin Michel Terre d’Amérique

Parution : 2017

 

10 réflexions sur “Les animaux

      1. c’etait une question spontanée ! Comme c’est ancré dans la culture américaine je me disais par extension que ça l’était dans la culture canadienne. Et comme tu écris bien, je me disais que c’était envisageable que tu l’aies fait !

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