Lorsque j’ai décidé de m’intéresser de plus près à Willy Vlautin, dont je ne connaîtrais probablement pas encore l’existence sans Marie-Claude, j’ai commandé deux romans d’un coup, sans même avoir de doute un seul instant. Sitôt Plein Nord refermé, j’ai décidé d’enchaîner avec Motel Life – qui est en fait le premier roman de l’écrivain.
Jerry Lee et Franck Flanningan sont deux frères, orphelins de mère et abandonnés par leur père, qui vivent de motel en motel, de petits boulots journaliers en job harassant à la cimenterie de la ville, et passent leur temps libre à descendre des packs de bière et du whisky bon marché. Jerry Lee et Franck sont des garçons gentils, au vrai sens du terme, mais ils sont tirés vers le bas dans leur vie sans repères depuis que leur mère est morte prématurément. L’aîné a continué à travailler, et Franck a finalement très vite arrêté le lycée. Tout pourrait être tranquille dans leur petite vie sans prétention à Reno, malgré l’accident idiot qui un jour a coûté à Jerry Lee un bout de sa jambe, mais lors d’une nuit d’ivresse de trop, celui-ci renverse avec sa voiture un jeune garçon, qu’il tue sur le coup. Cédant à la panique, il s’est enfui emportant le corps désarticulé du garçon sur le siège arrière de sa vieille Dodge, pour aller chercher de l’aide auprès de son frère Franck.
Sans réfléchir longtemps, les garçons décident de s’enfuir, se débarrassant d’abord du corps et continuant leur chemin, sous la neige qui tombe en rafales, vers le Montana pour se débarrasser de la voiture. Mais au cours de leur périple, Jerry Lee abandonne Franck qui rentre désœuvré à Reno, sans savoir s’il reverra un jour son frère dévasté par l’acte irréparable qu’il a commis…
On retrouve dans ce roman tous les codes de Plein Nord : des jeunes gens paumés, les packs de bière, le Jim Beam, Reno et ses casinos, l’errance, les destinées auxquelles on essaie d’échapper sans vraiment avoir de plan, la figure paternaliste qui vient guider le protagoniste.
Tu m’as l’air vraiment solide, comme garçon. Un sacré dur à cuire. Alors, si j’ai un conseil à te donner, c’est celui-là. J’ignore s’il te sera utile ou non, ça, il n’y a que toi qui puisses le savoir. Ce que tu devrais faire, c’est penser à la vie que tu voudrais avoir, te la représenter dans ta tête. Fabrique-toi l’endroit où tu aimerais être : un ranch, une maison au bord de la mer, un appartement de luxe, avec terrasse, tout en haut d’un gratte-ciel. Peu importe ce que c’est, du moment que tu peux t’y réfugier. Quand les choses vont mal, pars là-bas.
Franck et Jerry Lee sont des personnages extrêmement attachants, foncièrement gentils malgré leur vie compliquée. Leurs épreuves familiales les ont soudés, et ils sont installés dans une relation d’amour forte, quasi gémellaire. L’un raconte des histoires pour faire plaisir aux personnes qui l’entourent, des histoires pour s’endormir, des histoires pour rêver et s’échapper de son ordinaire. L’autre dessine, et raconte sa ville et ses rêves à travers ses dessins. Lorsque Jerry Lee tue le jeune garçon, il ne s’apitoie pas seulement sur son sort et sa peur de passer son existence en prison, même si c’est ce qui le pousse à fuir. Non, le pire pour lui, c’est de devoir continuer à vivre, alors que le garçon avait peut-être plus de raisons que lui de continuer à vivre :
Pourquoi il a fallu que ce soit moi qui l’écrase, et pas le contraire ? Je suis que dalle, moi. Le gamin, si ça se trouve, il allait devenir quelqu’un
Jerry Lee pourra-t-il surmonter la peur d’être arrêté, et le chagrin incommensurable qu’il éprouve ?
Ce que j’aime, dans ce deuxième roman comme dans le premier, c’est qu’il y a toujours des personnages bienveillants pour aider le protagoniste, et moi, j’aime ça la bienveillance ! Franck et Jerry Lee ne méritent pas la méchanceté, et les personnages que l’auteur met sur leur chemin le leur rendent bien. Et en cela, malgré toute la noirceur que ce roman peut dégager, il fait du bien, et nous donne à croire en la bonté d’âme, aux rencontres fortuites qui peuvent changer les choses.
Je n’aurai qu’un reproche à faire, et c’est à moi-même que je l’adresse : je n’aurais pas dû enchaîner directement de Plein Nord à Motel Life. Trop de déjà vu entre les deux romans –ce qui est en fait l’essence-même du style de Willy Vlautin, mais qui pour moi s’est un peu transformé en bis repetita.
Toutefois, je peux affirmer que j’aime définitivement et viscéralement Willy Vlautin, qui a dorénavant une place de choix dans mon idée de la littérature américaine. A noter un petit «plus » dans le roman : les croquis qui parsèment le début de chaque chapitre, réalisés par le dessinateur Nate Beaty, dont on comprendra rapidement la raison d’être dans le roman.
Au moment où je referme ce billet, je découvre que The Motel Life a fait l’objet d’un film en 2012. D’Adam et Gabe Polsky, le rôle-titre de Franck étant joué par Emile Hirsch, admirable dans le film Into the Wild… Je crois que je vous en reparlerai bientôt !
Titre : Motel Life (The Motel Life)
Auteur: Willy Vlautin
Editeur: Albin Michel / J’ai Lu
Parution: 2006
Merci chère Sonia de m’avoir fait découvrir cet auteur, dont je ne connaissais pas l’oeuvre, étant pourtant fan de littérature US. Comme toi, je crois que j’ai fait l’erreur de lire dans la foulée Motel Life puis Plein Nord, et j’y ai retrouvé le même univers, à tel point que l’un m’a semblé la continuité de l’autre. On y retrouve les mêmes personnages en marge, paumés, en quête de reconstruction J’ai beaucoup aimé le style, net et précis. Ce sont des romans puissants qui laissent une empreinte
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Oui, exactement ! Il y a quelque chose de John Fante dans ces errances, c’est une littérature forte. Je suis heureuse que cet univers t’ai plu! On attendra un peu pour lire son troisième roman, mais je n’en ai entendu que du bien !!
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je vais suivre ton conseil, et choisir de lire soit l’un soit l’autre, sans les enchaîner.
Je ne connaissais pas du tout ce film de 2012! coïncidence, j’ai justement revu cette semaine Into the Wild, où la performance d’Emile Hirsch (que j’avais découvert en skateur dans Les seigneurs de Dogtown) était tout à fait remarquable!
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J’ai regardé le film hier soir et j’ai été affreusement déçue : scénario obligé, l’histoire a été un peu modifiée par rapport au roman, et Stephen Dorff qui incarne Jerry Lee, livre un jeu d’acteur pathétique et insupportable. L’inclusion de dessins animés est intéressante et vraiment bien pensée, Emile Hirsch est très bien, mais ce film dessert vraiment le roman, on peut passer son chemin…
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Le film ne m’inspirait pas trop, mais d’après ton billet, le roman pourrait me plaire. J’aime ta remarque sur la bienveillance.
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Merci beaucoup ! J’espère qu’il te plaira, malgré sa noirceur, malgré le malheur qu’il dégage, c’est un roman qui laisse une empreinte forte
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