Bakhita

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A sa parution en septembre 2017, l’engouement pour Bakhita a été immédiatement très fort. Le roman de Véronique Olmi recevait alors le Prix du roman Fnac 2017. Peu de temps après, il était élu par la communauté des blogueurs pour la première édition du Grand Prix des Blogueurs.

Pour autant, Bakhita n’a pas réussi à rejoindre la liste de mes envies. Trop vu, trop commenté, trop mis en avant?

Lorsque j’ai reçu la sélection du Grand Prix de L’Héroïne 2018, pour lequel il est également sélectionné dans la catégorie Roman Français, il m’a bien fallu me résigner à le lire.

Et pourtant! A peine avais-je entamé les premières pages, que déjà, j’étais happée, conquise, moi si réticente au début, par l’histoire de cette jeune esclave, née au Darfour en 1869 et morte en Italie en 1947.

C’est par le biais d’un récit au présent que l’auteure a choisi de raconter l’histoire de Bakhita, pour faire ressentir au plus près, au plus juste, ce parcours inimaginable dans l’horreur de l’esclavagisme.

Peut-on concevoir qu’une petite fille de 7 ans soit arrachée à sa famille par des négriers musulmans, marche enchaînée pendant plusieurs semaines, subisse la violence la plus inhumaine, soit vendue et revendue à des maîtres comme une vulgaire marchandise, maîtres qui à leur tour lui feront subir les pires maltraitances pendant tout ce temps volé à l’enfance – et qu’elle trouve en elle un extraordinaire don de survie qui lui permette de dépasser la volonté des maîtres successifs de fracasser et mutiler son corps, d’annihiler toute son humanité, toute sa raison de vivre? Est-il possible de trouver en soi la ressource nécessaire quand on est réduit à rien, tellement rien qu’on ne mérite pas un vêtement pour couvrir le corps nu, tellement rien qu’on en a oublié sa langue maternelle et le prénom reçu à sa naissance?

Bakhita revoyait sa grand-mère qui pilait des herbes et soignait chacun, elle essayait de se souvenir mais ne se souvenait pas, c’était quoi ces herbes, qu’est-ce qui poussait chez elle, quel était le nom des fleurs, le nom des plantes? Elle ne le savait pas, mais l’avait-elle jamais su? Qu’avait-elle retenu de sa vie de petite fille? Que restait-il en elle d’une Dajou du Darfour? Depuis combien d’années était-elle esclave? Le temps passait sans repères, elle essayait de compter les fêtes d’Allah, les saisons des pluies, mais c’était embrouillé et décourageant le plus souvent.

Celle qui sera renommée Bakhita, « la chanceuse » en arabe, va se tourner vers les autres, ce qui sera la plus grande de ses forces.

Parce qu’elle n’aura pas su retrouver sa grande soeur, enlevée elle aussi, parce qu’elle ne se pardonnera jamais d’avoir pense-t-elle déçu sa mère, parce qu’elle ne verra pas sa jumelle grandir à côté d’elle, parce qu’elle n’aura jamais d’enfant, Bakhita va reporter toute son empathie, toute sa capacité à aimer sur ceux qui en ont besoin. Fidèle au  «Je ne lâche pas ta main » qu’elle a soufflé à Binah, autre petite esclave, quand trébucher leur aurait été fatal, elle ne lâchera la main d’aucune des âmes en souffrance qui croiseront son chemin.

Grâce au consul d’Italie qui la rachète pour la libérer du joug de la violence négrière, Bakhita va rejoindre l’Italie et devenir « La Moretta » , la noiraude, si noire, si effrayante pour cette province vénitienne. Bakhita n’aurait jamais osé imaginer la liberté qui lui est offerte, et l’amour même qu’elle va recevoir. Bientôt, c’est un autre amour qui va s’ouvrir à elle, l’amour de Dieu. Baptisée après être entrée au Pieux Institut des Catéchumènes de Venise, celle qui s’appelle désormais Gioseffa Bakhita va être complètement affranchie par le Procureur du roi le 29 novembre 1889. Elle consacrera sa vie à Dieu, et surtout aux êtres en souffrance.

 

N’écoutant pas la douleur de son corps usé par les infâmes traitement, chaîne à la cheville, coups de bâtons qui la laissaient exsangue des jours entiers sans être soignée, peau scarifiée à la lame et au sel pour l’amusement d’une de ses maîtresses, mais besogneuse dans l’âme, Bakhita devenue soeur canossienne ne s’arrêtera jamais, brodant, tricotant, cuisinant, nettoyant, priant, se levant tôt et se couchant tard – mais elle ne saura jamais vraiment lire, jamais écrire, parlera une langue étrange composite de dialectes africains, d’arabe, de vénitien, priera un latin approximatif et n’aura de cesse d’appeler Dieu « El Paron » – car en plus, Bakhita a reçu le don de l’humour:

Bakhita apprend cela, qu’elle gardera toute sa vie comme une dernière élégance: l’humour, une façon de signifier sa présence, et sa tendresse aussi »

Cette langue mosaïque, qu’il faut écouter patiemment pour la comprendre, « c’est comme trier les lentilles ou sarcler la terre », « une histoire de temps et d’attention ».

Un jour, Bakhita racontera son histoire. Pudique sur tant de choses qu’elle n’ose pas raconter, on la force à parler, malgré la honte de tout ce qu’elle a vécu, une honte puissante même face à « El Paron » qui voit tout, pour consigner son histoire, dans cette langue bien à elle qu’une institutrice retranscrira tant bien que mal.

A son insu, un livre sera publié, un ouragan digne des plus grands best-sellers. Et son histoire sera, toujours à son insu, un objet de propagande pour le gouvernement mussolinien qui montrera à travers l’ancienne esclave noire convertie la bienveillance italienne à l’égard de l’Afrique qu’elle peut sauver.

Si la lecture est dense, elle ne montre aucune longueur à ceux qui aiment ces destins hors normes.

Véronique Olmi a trouvé une façon extraordinaire de se glisser dans la peau de Bakhita, de nous faire ressentir avec puissance, à travers elle, le pire d’une vie sublimée par le meilleur qu’elle a su en extraire.

Bakhita incarne la résistance, la force, la sagesse, l’amour, la dignité, toutes ces qualités d’une noblesse rare, avec lesquelles elle a mené les plus durs et les plus beaux combats. Bakhita n’est pas seulement l’incarnation de la Liberté, elle est l’incarnation de l’Amour qui fera d’elle une Sainte.

Bien au-delà du coup de coeur, Bakhita est un livre à lire et à transmettre – pas seulement pour ne jamais oublier l’esclavage (qui, malgré son abolition, existe encore d’une autre façon aujourd’hui) mais surtout parce qu’il symbolise tous les combats que peuvent mener les femmes.

Bakhita est sélectionné dans la catégorie Roman Français du Grand Prix de L’Héroïne 2018

★ ★ ★ ★ ★

Titre: Bakhita

Auteur: Véronique Olmi

Editeur: Albin Michel

Parution: 2017

10 réflexions sur “Bakhita

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