
Il y a dans la littérature américaine un truc en plus, inimitable.
Une capacité spécifique à savoir capter l’essentiel de façon simple et pourtant brillante, avec un sens de la narration implacable, une discipline de l’écriture souvent acquise au gré d’ateliers d’écriture prodigués dans les universités américaines par les maîtres de la littérature.
C’est avec son second roman « L’autre moitié de soi » que je découvre Brit Bennett, une prodigieuse écrivaine américaine qui, selon le National Book Award, fait partie des cinq meilleurs jeunes auteurs américains.
Son roman démarre en Louisiane, dans une petite bourgade qui ne figure même pas sur les cartes.
Dans cet état acheté à la France en 1803, on ne distingue plus ceux qui portent des noms français, tellement ils sont nombreux – mais à Mallard, on distingue ceux qui sont trop noirs, comme s’ils risquaient de salir la peau blanche de ses habitants, acquise à coups de métissages.
A Mallard, il ne se passe pas grand-chose, ce qui explique pourquoi la disparition des jumelles Vignes en 1954, a tant marqué les esprits. Et pourquoi le retour de Desiree Vignes, quatorze ans après cet évènement, accompagnée d’une petite fille à la peau Noir-bleue, va à nouveau mettre Mallard en émoi. Qu’est-il advenu de Stella, la plus sensible des deux jumelles, depuis qu’elle a disparu à la Nouvelle-Orléans pour oser devenir Blanche?
Etre un blanc pendant quelques heures, c’était amusant. Héroïque, même. Qui n’avait pas envie de rouler les Blancs pour changer? Mais le passe-blanc était un mystère. On ne rencontrait jamais quelqu’un qui avait franchi la ligne de couleur de manière définitive, pas plus qu’on ne rencontrait quelqu’un qui s’était fait passer pour mort avec succès (…)

Desiree est privée de sa moitié, tout comme Adèle, leur mère chez qui elle est revenue vivre. Stella reviendra-t-elle, elle aussi, un jour?
Une paire. Elle était censée en avoir une paire. Et la réapparition de l’une n’avait fait que raviver l’absence de l’autre.
Dans cette histoire qui tisse les trajectoires de ses personnages à travers les années, Brit Bennett explore les choix que nous faisons et la façon dont ils se répercutent sur ceux qu’on aime.
Au coeur du roman, l’écrivaine place la question globale de l’identité, la place qu’on doit se faire pour pouvoir exister dans une société à l’image de celui que l’on est – ou aimerait être.
De bout en bout, l’écrivaine nous surprend dans un récit qui ne retombe jamais, maniant l’art du rebondissement à travers des personnages pétris d’humanité – qu’ils soient principaux ou secondaires, tous sont puissamment incarnés.
L’écriture subtile et gracieuse (servie par une traduction de Karine Lalechère) pose des réflexions profondes, plaçant ce roman prodigieux et marquant dans la grande littérature américaine.
Titre: L’autre moitié de soi (The vanishing half)
Auteur: Brit Bennett
Editeur: éditions Autrement
Parution: Août 2020
Une réflexion sur “L’autre moitié de soi”