
En à peine une journée, j’ai vu au cinéma « Illusions perdues » et fini ma (re)lecture d’ « Au bonheur des dames ».
Que ce soit Balzac ou Zola, le constat est le même: quelle étrange résonance avec notre époque! Les deux écrivains étaient-ils visionnaires, ou doit-on simplement en conclure que les siècles se succèdent et se ressemblent?
Dans « Au bonheur des dames », Zola raconte le développement d’un grand magasin parisien. Véritable machine à broyer dans la gloire du Paris haussmannien, Zola déroule la mécanique qui va faire naître le commerce de masse, et tout ce qu’il induit: la vente à bas prix pour écraser la concurrence, la pression des prix sur les fabricants, les budgets publicitaires outranciers pour attirer la clientèle de ventes exceptionnelles, la surconsommation et la qualité tirée vers le bas. Et, inéluctablement, la mort des petits commerces incapables de faire face à l’agressivité marchande du géant.
Octave Mouret est le jeune propriétaire ambitieux qui oeuvre au déploiement incessant du grand magasin. Visionnaire, financier intrépide, Octave a un sens très fin de la mise en avant des produits et de la psychologie de ses clientes. Car bien évidemment, ce sont les femmes, petites choses superficielles, avides légères, changeantes, névrosées, faibles face aux dentelles et aux étoffes, qui font la fortune (souvent aux dépens de leur ménage) du grand magasin.
Il acheva d’expliquer le mécanisme du grand commerce moderne. Alors, plus haut que les faits déjà donnés, au sommet, apparut l’exploitation de la femme. Tout y aboutissait, le capital sans cesse renouvelé, le système de l’entassement des marchandises, le bon marché qui attire, la marque en chiffre
Jeune veuf mondain , séducteur, Mouret a pris pour maîtresse Mme Desforges qui l’aidera dans son ascension. Il collectionne les maîtresses et quelques aventures avec des vendeuses de son magasin.
Denise Baudu, lorsqu’elle débarque de Valognes à Paris avec ses deux jeunes frères pour tenter une nouvelle vie, tombe en extase devant le foisonnement du grand magasin. Elle y trouve vite un emploi, mais timide, mal dégrossie, elle a du mal à se faire une place au milieu des autres vendeuses, moqueuses, méchantes, et bientôt jalouses. A force de courage, de travail, d’abnégation, Denise va parvenir à conquérir les uns et les autres. Mieux, fine observatrice, empathique, et également visionnaire, elle sera à l’origine de mesures sociales qui permettront non seulement d’améliorer les conditions de travail de ses collègues, mais également de les protéger. Mouret, fasciné par cette douce et chétive jeune fille blonde à la chevelure indomptable, se fait ravir le coeur, et il est prêt à tout pour qu’elle cède à son amour. Mais Denise, droite, soucieuse de rester dévouée à ses frères, n’entend pas se laisser entraîner dans une histoire avec Mouret – malgré les sentiments qu’elle éprouve également pour lui.

Au bonheur des dames est un très grand roman: Zola nous montre la mise en marche de ce monstrueux grand magasin en nous faisant partager tous les points de vue: la direction, les vendeuses et vendeurs, les clientes, et les boutiquiers qui bientôt vont se retrouver vaincus face à la puissance de la machine inébranlable. A cet effet, il s’est longuement documenté auprès d’un des Grands Magasins de cette époque, Le Bon Marché.
Elle plongeait les mains dans ce flot montant de guipures, de malines, de valenciennes, de chantilly, les doigts tremblants de désir, le visage peu à peu chauffé d’une joie sensuelle
Il y a dans cette débauche commerçante d’étoffes, de dentelles, de vêtements, d’accessoires et autres colifichets, une dimension érotique – non seulement dans le déploiement orgasmique des marchandises à travers tous les étages du magasin, mais aussi dans le désir quasi charnel qu’il suscite chez ses clientes.
De Zola, on connaît surtout les romans sombres, très sombres. Au Bonheur des Dames s’en différencie, car il est un roman lumineux, et, contre toute attente, optimiste!
Octave Mouret était déjà apparu, entre autres, dans Pot-Bouille, bien avant qu’il soit le célèbre patron du grand magasin. Il apparaîtra ensuite dans L’Oeuvre puis dans Le docteur Pascal.
Titre: Au Bonheur des Dames
Auteur: Emile Zola
Parution: 1883
Tu me donnes envie de relire ce classique qui avait été un coup de cœur !
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Quand on n’est plus dans l’obligation scolaire de les lire, les classiques sont souvent des livres formidables! Je suis certaine que tu auras beaucoup de plaisir à cette relecture!
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C’est vrai, le caractère obligatoire d’une lecture a tendance à gâcher le plaisir de s’y plonger, du moins, pour beaucoup de personnes…
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