
Récemment, je vous parlais ici de ma relecture enthousiaste d’Au Bonheur des Dames, et de mon envie de me lancer dans la redécouverte de Zola.
C’est autour d’Octave Mouret, le protagoniste d’Au Bonheur… que s’est cristallisée ma motivation. Car depuis « La conquête de Plassans », Zola a fait d’Octave Mouret un personnage récurrent des Rougon-Macquart.
Mon idée n’était pas de découvrir chronologiquement Mouret, mais plutôt de comprendre quel caractère a engendré l’Octave homme d’affaires. Et c’est le roman qui l’a directement précédé, « Pot-Bouille », qui permet cette approche.
L’hypocrisie de la morale bourgeoise
Dans cette satire qui dénonce l’hypocrisie de la morale bourgeoise, Octave Mouret débarque à Paris après avoir quitté Plassans, les poches garnies du commerce d’un stock de cotonnades invendues (Octave a déjà un sens aigu des affaires). C’est dans une maison bourgeoise rue de Choiseul, propriété du vieux Vabre, qu’il loue une petite chambre – il se familiarise vite avec les locataires des différents étages, et, à sa façon, va drainer le cours du récit.
Le huis-clos de cette maison, où va principalement se dérouler l’intrigue, fait de Pot-Bouille une sorte de vaudeville: un rythme effréné tisse le récit, les personnages sont croqués à travers leurs vices (à de rares exceptions, ils ne suscitent guère de sympathie) et les situations sont souvent d’un burlesque assumé, qui ne vise qu’à souligner le ridicule de ces esprits.
D’un étage à l’autre, derrière la façade d’un décor faussement rutilent, nous entrons dans l’intimité des familles qui l’habitent – et découvrons les vices et les petits arrangements de chacun avec la morale. Le manque de moralité est à tous les étages, et l’hypocrisie transpire à travers les murs: au premier chez les Vabre et Duveryrier ou l’on se trompe allègrement, au 3e chez les Campardon où la maîtresse vit sous le même toit que l’épouse, au 4e chez Madame Josserand qui pousse sa fille à se marier en utilisant les manoeuvres les plus basses, au 5e chez les domestiques qui ouvrent leur porte aux visites des messieurs des autres étages.
Sans compter cette famille du 2e, dont le locataire, un écrivain qui écrit d’affreuses choses « sur les gens comme il faut » n’est pas sans rappeler la figure de Zola.
L’argent est un des moteurs de l’intrigue et de ce manque de moralité: c’est une course permanente à la dot pour pouvoir arranger un mariage, une course à l’héritage pour pouvoir renflouer un ménage. Une course qui entraîne les plus grandes bassesses.

Une étude de la condition des femmes
Zola dénonce par ailleurs la condition des filles et de leur éducation très réduite (« Une demoiselle en sait toujours de trop ») dont la seule vocation est de les mener vers un mariage sans amour, qui conduira « inexorablement » à l’adultère.
Quel est le rôle de la femme en dehors de celui d’être une épouse? L’écrivain souligne à plusieurs reprises la répugnance des femmes envers le sexe d’une union arrangée:
Elle le connaissait bien, il serait toujours sur elle, maintenant que plus rien au-dehors ne la protègerait; et, dans son respect de tous les devoirs, elle tremblait de ne pouvoir se refuser à l’abominable corvée
Mais il introduit aussi le personnage de la femme frivole et dépensière, qu’on retrouvera démultiplié dans Au bonheur des Dames.
Seule Mme Hédouin, propriétaire du magasin qui entre déjà en scène dans Pot-Bouille, s’élève au-dessus des autres figures féminines tant dans son allure que dans son comportement.
Un roman à l’écriture réaliste
Dans ce roman, Zola met un réalisme brut dans la description des coulisses de la maison, à savoir le monde des bonnes, caractérisé par cette cour intérieure qui dégouline, au propre comme au figuré, des ordures de la maison toute entière jetées par celles qui observent dans un silence apparent les moeurs légères de cette petite bourgeoisie. Le point culminant de ce réalisme est atteint lorsque Zola décrit l’accouchement, dans la solitude de sa chambre du 5e, d’une bonne engrossée par un de ces messieurs. On peut imaginer l’horreur soulevée en 1880 par des descriptions qui n’épargnaient rien de la réalité physique de la délivrance.
Ce réalisme s’exprime aussi à travers la violence verbale et physique dont usent les personnages (« je le fais pour toi, je te promets de ne pas la défigurer ici, puisque tu assures que ce ne serait guère convenable à cause de ce mariage…), et même sexuelle (« Toi, tu vas y passer! »), qui à l’heure actuelle pourraient valoir à Zola de sérieuses remontrances féministes.
L’éclosion d’un grand personnage romanesque
Parallèlement à cette histoire, c’est le personnage d’Octave Mouret qui se révèle passionnant: son sens des affaires, du commerce des étoffes est déjà très présent, de même que son donjuanisme et sa compréhension de la psychologie féminine (« son flair de la femme ne ne l’avait pas trompé sur cette fille à poitrine plate »). Le dessein du personnage est déjà tracé, il arrive pour « conquérir Paris » et ses histoires d’étoffes et ses rêves de grands magasins séduisent déjà les femmes. Mais Octave est encore un jeune homme, peu scrupuleux avec ses maîtresses, et son manque de moralité ne lui pose aucun problème: il est même le moteur qui prédit la réussite de son entreprise à venir.
Prochaines étapes à l’ordre de lecture encore indéterminé: La conquête de Plassans, L’Oeuvre, et Le docteur Pascal, pour continuer à explorer l’évolution de ce grand personnage des Rougon-Macquart.
Titre: Pot-Bouille
Auteur: Emile Zola
Parution: 1880
C’est un titre de Zola que je n’ai encore jamais lu mais ton billet m’incite à en savoir plus ! J’ai relu récemment « La Terre » et « Le Ventre de Paris » qui m’ont frappé par leur noirceur et finalement par le peu de bienveillance qu’ils portent sur le genre humain. « Le Docteur Pascal » est d’une autre tonalité apparemment, et c’est également un de ceux que je veux absolument lire – Zola était marqué par la naissance de ses deux enfants et de nombreux parallèles existent entre la vie du docteur Pascal et celle de l’écrivain.
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Je te le recommande vivement. Je n’ai ni lu La terre ni Le ventre de Paris, j’ai mis en stand by mes lectures de Zola ce qui est bien dommage (trop d’influence du côté des nouveautés).
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Merci beaucoup. En tout cas, si tu as de nouveau l’envie et le temps de continuer l’exploration de Zola, n’hésite pas à me faire signe pour une lecture commune. Je suis souvent partant 🙂
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