Les mains du miracle

Les mains du miracle
Joseph Kessel
Folio
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Si l’histoire de Schindler, qui a sauvé un millier de Juifs pendant la guerre est devenue célèbre (merci Steven Spielberg) celle de Felix Kersten, qui en sauva plusieurs milliers l’est beaucoup moins.

C’est cette histoire méconnue du grand public que Joseph Kessel raconte dans « Les mains du miracle », récit romancé publié en 1960. Celle d’un homme qui, en devenant le médecin personnel de Himmler, a réussi à négocier à maintes reprises la vie de plusieurs milliers de personnes.

C’est pourtant avec une réticence extrême qu’à la demande d’un ami, Kersten va pour la première fois soigner Himmler. Atteint de crampes d’estomac dont aucun traitement ne venait jusque là à bout, les massages miraculeux de Kersten vont soulager Himmler à un point tel que la disponibilité de Kersten va devenir vitale au chef nazi. Et le pouvoir de Kersten sur Himmler va devenir exponentiellement immense.

Himmler est le maître d’oeuvre démoniaque de mesures qui terrifient les Allemands et bientôt la population mondiale – mais face à Kersten, il n’est qu’un homme chétif, cheveux pauvres, yeux gris sombres protégés par des verres sur monture d’acier, pommettes mongoloïdes et menton fuyant. A demi-nu devant Kersten, il perd toute sa puissance.

Avec Himmler, il semblait à Kersten qu’il avait entre ses mains un enfant débile »

Lorsque Himmler souffre, il est prêt à tout accorder. Lorsqu’il est soulagé, il a le plaisir indicible de parler sans réticence de tout, même des sujets les plus secrets, les plus stratégiques. Alors, usant de son ascendant guérisseur et tout en triturant les nerfs de son patient, Kersten manipule au sens propre comme au sens figuré le numéro deux du régime nazi – qui n’y voit que du feu malgré la suspicion de plus en plus grande d’autres militaires du parti, et offre non seulement son absolue confiance au médecin-masseur mais aussi sa protection face à aux ennemis qu’il ne tarde pas à se faire.

Gagnant peu à peu la confiance de Brandt, le secrétaire privé de Himmler (et le dépositaire de tous ses secrets, qui n’hésite pas à arranger certains documents pour aider Kersten dans son entreprise), de Godlob Berger le commandant de l’armée du Reichsführer et de Walter Schellenberg qui dirigeait les services d’espionnage, Felix Kersten va oeuvrer durant cinq années, jusqu’à la défaite de l’Allemagne. Son intervention auprès de Himmler aura permis de sauver de la déportation et de la mort des milliers de vies.

Felix Kersten, au centre, à la droite de Himmler

Le regard de Himmler s’arrêta sur les mains du docteur. Voilà cinq années que fortes, douces, habiles, miraculeuses, elles extirpaient la souffrance de son corps. Et, depuis cinq années, le docteur était le seul homme auquel Himmler avait pu livrer davantage ses espoirs, ses craintes, ses rêves.

De page en page, le récit des faits d’armes de ce masseur formé à la médecine chinoise dans ses jeunes années par un médecin-lama qui a reconnu en lui son digne successeur se fait de plus en plus ahurissant. Le rôle de Kersten, qui devient politique aux côtés de la diplomatie suédoise sur la dernière partie de la guerre, nous interroge même – pas tant sur la véracité des faits (qui étaient très documentés et que Kessel a tous vérifiés) que sur leur portée: à son échelle, Kersten a bel et bien contribué à modifier le cours de la guerre (par exemple en faisant revenir Himmler sur sa décision actée de déporter en masse la population hollandaise vers la Pologne)!

C’était à présent seulement qu’il prenait conscience de la mission qui lui était attribuée par les détours du destin. Un champ sans limites s’offrait, où il pouvait aider toute une humanité. 

En nous plaçant au coeur de ses relations avec le numéro deux du IIIe Reich, Kessel nous amène presque à devoir considérer la part d’humanité de Himmler et, même, à ne plus voir en d’autres responsables, comme Brandt, leur rôle dans l’extermination de millions de Juifs. 

Il est intéressant de noter d’ailleurs, à propos de Rudolf Brandt (qui s’était inscrit volontairement au parti nazi en 1932 et à la SS en 1933) que Félix Kersten a témoigné en sa faveur au procès de Nuremberg mais il n’empêchera pas sa condamnation à mort.

« Les mains du miracle » est un roman passionnant qui révèle un pan d’Histoire sidérant, dont la rigueur journalistique d’un écrivain comme Joseph Kessel a su témoigner avec excellence.

Titre: Les mains du miracle

Auteur: Joseph Kessel

Editeur: Gallimard

Parution: 1960

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