Là où nous dansions

couverture du livre "Là où nous dansions"

Ce roman est une déclaration d’amour vibrante au « berceau du monde moderne qui a inventé la voiture et aimanté les travailleurs et les cultures du monde entier ». Detroit, Michigan. Territoire de pionniers français qui ont fait prospérer son sol noir. Territoire des industriels qui y ont fait fructifier l’économie américaine. Territoire de la musique qui y a fait éclater les plus grandes voix noires américaines.

Juillet 2013, Detroit vient d’être déclarée en faillite. Surendettée, la ville se désagrège depuis des années. Ira, policier d’élite de la ville, observe le coeur serré le Brewster Douglass Project, le quartier de son enfance que l’on détruit.

C’est dans le Brewster qu’on a retrouvé le corps d’un jeune homme, que Sarah, flic en charge d’une unité d’identification des corps que personne ne réclame, va désespérément tenter d’identifier.

Qui a assassiné le jeune homme? 

Ici, le crime a créé un abîme entre les hommes. « Un trou où l’humanité s’est dissoute, où l’on ne tue pas sur ordre, pour sauver ou gagner sa vie, mais pour rien, par désoeuvrement. La vie n’a plus de valeur. »

Sarah est blanche et a grandi dans la banlieue de Detroit, là où se sont installées les familles blanches qui, des décennies plus tôt, ont déserté la ville.

Ira est noir, et Detroit a façonné sa destinée et celle de sa famille. 

Quel gosse devient-on quand on grandit au Brewster Project? Certainement pas un flic – et pourtant Ira est devenu ce flic qui confronte ses anciens copains du Brewster à leurs crimes.

Le Brewster était une promesse – un projet de logements décents pour les ouvriers de la ville, une offrande faite par Eleanor Roosevelt en 1935 à la ville qui se relevait de la grande crise. Des tours qui ont accueilli des milliers de familles, à commencer par la grand-mère d’Ira.

C’est ici, à Hastings street, que battait le pouls de l’Amérique. « C’est le plus vibrant des quartiers de ce pays. Paradise Valley! Chaque soir, c’est l’explosion, la musique sort de partout, des jazzmen en folie. » Ici se produisaient les plus grands musiciens. Ici, on dansait toute la nuit.

Trente ans plus tard, une autoroute a éventré le quartier, « parce que c’est l’avenir, c’est plus rapide, plus moderne », l’éviscérant de ses commerces, de ses clubs de jazz, de ses salles de danses, de ses espoirs, de ses habitants, de ses rêves.

Ce quartier, c’était nos ailes. Nos commerces. Nos vedettes. Nos premiers souliers vernis. Nos premiers cigares. Nos premiers hommes d’affaires. Nos premières Cadillac. Certains d’entre nous ressemblaient à des princes.

Aux côtés de son vieil oncle Archie, Ira tire les fils du passé pour comprendre comment Detroit est devenue cette ville vide et dangereuse, abandonnée par les Blancs, laissée en ruines aux Noirs. Il redessine les souvenirs de l’enfance heureuse au Brewster Project, où sa mère écoutait dans l’appartement voisin Mary, Flo et Diana les futures Supremes, jusqu’aux traumatismes qui marqueront la fin de l’innocence en même temps que les terribles émeutes de 1967.

Le présent, à travers Sarah, et le passé, à travers Ira, se répondent pour mieux raconter le personnage principal de ce roman époustouflant, Detroit.

Cette lecture a été d’une puissance émotionnelle énorme – mon séjour à Detroit l’été dernier m’avait laissé une étrange sensation. Malaise, fascination, oppression, tristesse. L’impression de ne pas y être à notre place, malgré le vide qui nous en laissait beaucoup. La tristesse de contempler la splendeur déchue d’une ville fantomatique, habillée d’oripeaux fanés. L’attrait de ses quartiers réhabilités par la gentrification, qui ressemblait à un autre monde. La contemplation émerveillée de ses témoignages artistiques, que ce soient les fresques murales dans la ville, ou les chefs-d’oeuvre du Detroit Institute of Art, que la ville n’a pas réussi à revendre pour éponger ses dettes. En marchant dans les pas des protagonistes, j’ai retrouvé ces lieux qui ont jalonné mon séjour. Judith Perrignon a mis des mots sur mes ressentis, a décrit Detroit comme je n’aurais jamais sur le faire.

Il faut dire aussi que son écriture est d’une force et d’une beauté à hauteur du caractère de Detroit. Grâce à elle, je comprends mieux ma tristesse: comment peut-on espérer des hommes qu’ils gardent leur humanité quand on les abandonne dans une ville fantôme?

La ville ne se laisse pas résumer, elle n’offre aucune ligne d’horizon, elle est trop décousue, faite de creux hantés et de pleins habités.

Titre: Là où nous dansions

Auteur: Judith Perrignon

Editeur: Rivages

Parution: 2021

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