Le garçon

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Nous sommes en 1908. Le garçon a quatorze ans lorsqu’il part à la découverte du monde, dont il ne connaît rien. Il n’a connu que sa mère, leur misérable cabane et ses environs. Le garçon ne parle pas, et c’est une sorte de créature hybride, mi-homme mi-bête, qui part sur les chemins du monde.

Désormais il veut voir. Il veut savoir. Il veut connaître. Il ne se tiendra plus à l’écart comme sa mère d’abord en avait décidé, pour des raisons connues d’elle seule, comme son propre instinct le lui dictait

On ne saura jamais pourquoi il ne parle pas – est-ce la faute de sa mère, peu loquace, s’abandonnant seulement parfois à d’impromptus monologues ? Est-il idiot (on comprend rapidement qu’il ne l’est pas) ? Ou est-il simplement muet ? Peu importe, probablement.

 il ne parle pas, et puis ? Avait-elle argumenté plus tard. Est-ce qu’on n’entend pas débiter assez de niaiseries ou de sottises comme ça

Notre garçon, donc, part sur les chemins du Sud où il est né, et très vite il se frottera à la nature méfiante des hommes : son allure effraie, mais il ne peut se défendre sans la parole. Dans cet étrange hameau où il fera sa première halte et vivra plusieurs mois, il découvre l’espèce humaine qu’il sait à peine nommer. Ceux qu’il rencontre sont des créatures qu’il voit hybrides, comme lui : l’homme-renard, la femme-papillon, la femme-musaraigne, l’enfant-crapaud, l’enfant-ver, l’homme-chêne,… Ils ne sauront pas forcément se montrer plus humains que lui, alors le garçon reprendra sa route. Malgré ce désenchantement, cette première rencontre avec la civilisation pave le chemin initiatique du garçon, qu’il reprend, dans sa solitude originelle, mais à l’affût du monde. Le monde d’ailleurs peut lui ouvrir ses bras, s’il a de la chance.

La chance se nomme d’abord Brabek l’ogre des Carpates, sorte de saltimbanque qui arpente le monde dans sa roulotte et prend le garçon sous son aile de géant, lui raconte les histoires du monde, de la vie et le prépare à sa prochaine étape. Bientôt, le garçon aura une famille, toujours la chance dans la souffrance, car rien ne lui est épargné, mais vierge de toute expérience, jeune apprenti de la vie, a-t-il conscience du malheur qui va, qui vient, entrecoupé de moments lumineux ? Peut-être pas encore… car le garçon ne dit rien, mais l’écrivain suggère. Sur son chemin, donc la chance est là encore, et cette fois-ci c’est la famille Van Ecke qui lui ouvre les bras, Gustave le père offre un frère à sa fille Emma. Emma, altière jeune femme affirmée et grande mélomane, qui plus qu’une sœur sera l’amie, l’amante et l’infirmière le moment venu. Le chemin du garçon doit continuer, Emma ne peut lui barrer la route, et il s’engage dans cette grande guerre, courageux, pour défendre une patrie dont il est citoyen fantôme mais il saura se choisir un nouveau pour se donner la possibilité de combattre. Le garçon ne parle toujours pas, mais tout le monde l’écoute, le respecte, le garçon sait, d’instinct, c’est un valeureux soldat. On sait qu’il reviendra de cette guerre, mais on n’imagine pas encore les blessures physiques et morales qui en résulteront, et la suite, chute vertigineuse vers le retour aux origines.
Comme une valse à plusieurs temps, le roman alterne les rythmes, sans jamais s’arrêter dans ce tourbillon historique.

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Alors, que penser de ce roman qui interroge?
Dans une première partie époustouflante de poésie, la plume de Marcus Malte offre une description extraordinaire et magnifiée de la nature. Les éléments sont sublimés, et la lumière s’en dégage avec un éclat intense qui habille les lignes :

Une pluie d’or picore la surface de l’eau : ce sont des myriades de gouttes fulgurantes, en plein jour une constellation de lucioles ou de feux follets

Ici « des étincelles crépitent encore devant ses prunelles », là ce sont « ces perles qu’il lance en l’air et qui sont de miel ou de pur cristal selon l’heure et la couleur du ciel. »
Le monde est minéral, le monde est lumière, la nature explose. Le silence du garçon s’oppose aux sons que l’écrivain retranscrit, comme il s’opposera plus tard (ou entrera en communion, c’est selon) avec la musique d’Emma.

 On entend les soupirs de la braise et le murmure de la rivière qui serpente quelque part en retrait

Mais à s’emporter, la plume exaltée de Marcus Malte en devient parfois lassante, car elle ne laisse pas de répit le long de ces 535 pages.

Et certains passages deviennent très longs. La farandole de mots, les accumulations de dates et d’événements semblent juste noircir les pages, et combien de pages, inutilement. A d’autres moments, c’est l’histoire qui harasse. Ainsi, l’initiation amoureuse et sensuelle du garçon et d’Emma n’en finit pas et frôle à mon goût la niaiserie. La rencontre avec l’Histoire fait sourire par sa naïveté : car si notre garçon avait eu le bon goût d’égorger ce peintre germanophone à petite moustache rencontré pendant la guerre au détour d’une ballade, et dont la photo fera la une des journaux en 1933, la face du monde en eût été bien changée… Clin d’œil à l’histoire, mais bon…

En dehors de ces quelques écueils, Le garçon est une fresque grandiose écrite par un écrivain virtuose, qu’on imagine avoir choisi et pesé chaque mot, c’est l’histoire terriblement émouvante d’un garçon dont le destin est finalement le retour à sa solitude originelle. Que de chemins difficiles et tortueux parcourus pour boucler la boucle.

 

Titre: Le garçon

Auteur: Marcus Malte

Editeur: Zulma

Parution: 2016

12 réflexions sur “Le garçon

  1. Ta chronique correspond tout à fait avec l’idée que j’avais du livre. J’imaginais tout à fait ces longues descriptions. Dans ma pile, mais il attendra un peu que j’ai la patience de le lire tranquillement 😉 Belle journée Soso😘😘

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  2. J’ai lu tellement d’avis différent sur ce livre que je ne connaissais pas, tous plus élogieux les uns que les autres. Et le tien ne fait que confirmer mon envie de le lire, tu en parles tout doucement et tu en parles si bien 🙂

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      1. Ce n’est pas mon genre de sauter des pages de romans, j’aime m’engouffrer dans la poésie, et je dois dire que les passages que tu as mis sont merveilleux, ils me font rêver !

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      2. Je comprends… moi j’ai appris à le faire, même si cela resté extrêmement rare heureusement. Mais étant donné que je déteste abandonner une lecture, cela me permet de donner un petit coup d’accélérateur quand la côte est trop raide 😉

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  3. Je l’avais bien évidemment noté. Je l’avais frôlé en bouquinerie, feuilleté rapidement, puis remis sagement à sa place. Mais là, je suis complètement refroidie. Peut-être une fois qu’il sortira en poche, mais pas maintenant. Merci pour l’économie (de sous et de temps)!

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  4. Gros coup de coeur pour moi de cette année! Lu avec Fanny en plus (ci-dessous)! Une écriture superbe, j’ai adoré les personnages, toutes ces rencontres qui ont influencée le Garçon. Une musicalité exceptionnelle aussi. Bref, un grand roman!

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