L’homme arrive discrètement. Son éditrice est déjà là, assure qu’il n’est pas coincé dans les embouteillages, tandis que la librairie Le Point de Côté (Suresnes) se remplit peu à peu. A droite à gauche, on échange au sujet de ce roman qui interroge ceux qui l’ont lu, intrigue ceux qui ne l’ont pas encore découvert. En coulisses, les questions se préparent. On sent qu’il va y en avoir, de l’échange.
Il s’installe à la table, face au public. Une pile des ses romans, prêts à être dédicacés, est posée devant lui. Calme, ses gestes sont feutrés, il sourit tranquillement, presque timidement. Il va nous parler de son dernier roman, Article 353 du code pénal.
Brest:
Son septième roman. Le retour à Brest, le retour aux origines, Brest où l’écrivain est né il y a une quarantaine d’années. Pourquoi situer ce nouveau roman à Brest? Parce qu’à chaque fois qu’il a envie de « faire un vrai roman », Tanguy Viel utilise le terreau de l’enfance. Sa manière personnelle de circonscrire un espace pour son intrigue.
Erwan Kermeur:
Brest, déjà évoqué dans un précédent roman, Paris-Brest – et déjà la question de Louise la libraire est posée, ce point sur lequel certains s’interrogeaient avant que démarre la soirée: le fils Kermeur évoqué dans Paris-Brest est-il Erwan, le fils de Martial Kermeur, le personnage d’Article 353 du code pénal?… Oui… Même si au moment de l’écriture de Paris-Brest l’histoire d’Article 353… n’était pas encore née, tout concordait finalement pour en faire Erwan, que l’on voit grandir dans ce nouveau roman, antérieur d’un point de vue de l’intrigue à Paris-Brest. Tanguy Viel fait d’ailleurs remarquer que c’est dans Paris-Brest qu’il a enfin nommé les lieux et les personnages de ses romans. L’auteur avoue avoir des difficultés à incarner les choses avec précision dans l’écriture.
Pour revenir au fils Kermeur, et contre toute attente, sa place a augmenté peu à peu dans le livre. Témoin silencieux des ratages de ses parents, il passera à l’acte avant le père. Sera-t-il le déclencheur du passage à l’acte de Martial? Leur rapport est intense, donnant au roman une dimension forte. Si forte, que selon le romancier, son roman peut être lu comme une lettre au fils.
De la genèse d’un roman:
Le point commun aux romans de Tanguy Viel pourrait être la fatalité de l’intrigue. Il a en effet besoin d’un acte net et précis pour créer l’ossature du roman.A partir d’un geste compulsif, acte libérateur du protagoniste, il peut écrire son roman. C’est ainsi que démarre Article 353 du code pénal, avec la mort du promoteur véreux. Quelqu’un fait remarquer la finesse du choix, annoncer d’emblée le meurtre, pas de suspense. Sauf que Tanguy Viel fait remarquer que dans la première mouture du roman, la scène du meurtre était à la fin, jusqu’à ce qu’un ami lui fasse remarquer qu’attendre ce dénouement pouvait nuire au plaisir de la lecture. Alors il a été évident que le roman devait être reconstruit, en plaçant cet acte fondateur de l’intrigue d’emblée dans l’histoire.
Un roman politisé ou un héros (dés)abusé?
Les échanges sur la politisation du roman sont vifs. Est-ce un hasard si Erwan est né le jour de l’élection de Mitterrand? Kermeur est-il un déçu du socialisme? Kermeur intrigue, et son immaturité est mise en exergue par de nombreux lecteurs (je vous avoue que je n’avais pas perçu d’immaturité chez lui). Son langage aussi. Je me souviens que son expression avait gêné quelques personnes avec qui j’avais échangé, et le style soutenu par rapport à la condition ouvrière de Kermeur fait débat. Tanguy Viel le dit clairement, il n’a pas de souci de naturalisme et n’avait aucune volonté d’étudier le langage ouvrier pour rendre son personnage plus « réel ». D’ailleurs, pourquoi un ouvrier aurait-il une vie mentale moins élevée?
Le juge:
Et le juge dans tout cela? Figure du huis clos, le juge est une manière plus nette de dessiner ce qui aurait pu ne pas paraître. Il se confond avec un psychanalyste, l’écrivain l’a très vite identifié tel quel. Le juge sera aussi celui qui fera ressortir la part d’humanité de ce roman.
Lazenec:
Finalement, celui par qui le malheur arrive, Lazenec, est celui qui intéresse le moins le public. Imaginé comme un petit Bernard Tapie lors de la genèse du roman, Tanguy Viel a perdu de vue cette image au cours de l’écriture. Que nous en reste-t-il de ce Lazenec, à la fin du roman, finalement? Ne nous sommes-nous pas réjouis de sa disparition, ravis nous aussi de le perdre de vue?
Le travail de l’écrivain:
Le livre met en scène un récit qui se cherche
Tanguy Viel, même s’il a quelques points d’appui pour son histoire, construit une scène en l’écrivant. « C’est comme se promener dans un labyrinthe dont on connaîtrait la sortie ». A cet effet, l’auteur site ce roman qui l’a influencé: Au cœur des ténèbres, de Joseph Conrad.
L’homme est très cultivé, littérature, cinéma, sciences. Sa répartie est vive, efficace et flegmatique.
Le cinéma:
On évoque la cinégénie du roman. Alors, ce roman ne ferait-il pas un film formidable? Pas facile à mettre en scène, avec ces flash-backs. Et pourtant, la scène de la grande roue, Kermeur accroché au manège en ascension, ferait un moment de cinéma fabuleux. Mais impossible à insérer dans le cours du film. Qu’à cela ne tienne, une spectatrice a la solution: ouvrir le film sur cette scène. Et soudain, tout le monde semble convaincu. Tanguy Viel le premier.
Le titre du roman:
Les juristes auront été les premiers à le remarquer: le titre est erroné. Le roman aurait dû s’appeler « Article 353 du code de procédure pénale ».
Avez-vous une intime conviction?
Tanguy Viel ne connaissait pas l’article, mais il connaissait la notion qu’il recouvre.
Il a envisagé que cette notion pourrait être le titre du roman. Finalement, c’est le numéro de l’article qui est resté, et pour des raisons esthétiques, le « de procédure » n’a pas été rajouté.
Alors que je faisais la queue pour faire dédicacer mon roman chargé de ses post-it, je pensais à Martial Kermeur, à son état d’esprit au moment où il accepte l’invitation sur le bateau de Lazenec. Je me suis demandé si dans sa tête, dans la tête de Kermeur et pas dans celle de Tanguy Viel, le meurtre était déjà là, prémédité. Enfin c’était mon tour, et à brûle pourpoint c’est la question que j’ai posée à l’auteur. Il y a réfléchi, je crois qu’il n’attendait pas cette question qui finalement l’interrogeait aussi. Je ménagerai le suspense et ne vous dirai pas ce qu’il m’a répondu, mais je vous laisse lire sa dédicace:
Rencontre avec Tanguy Viel
Librairie Le Point de Côté à Suresnes (92)
Jeudi 23 février 2017
Jolie photo de l’auteur !! Qu’a-t-il pensé de tous tes post it??
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Je pense qu’il ne les a même pas remarqués, contrairement à mon libraire qui avait l’air satisfait de voir autant de prise de note!!!
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