J’attendais, sans savoir précisément quoi. J’attendais parce que je n’avais pas d’idées, parce que je n’avais pas la force nécessaire au changement. Je me réfugiais à l’ombre de la fatalité mais rêvais d’un destin
Je mets au défi quiconque de ne jamais avoir éprouvé ce que l’écrivain traduit avec ses mots, de façon à la fois si percutante, si simple et si juste.
Il est des livres lumineux, et qui peut-être, un jour, peuvent guider.
C’est en tous les cas ce que je crois de ce beau roman de David von Grafenberg…
Anne a la jolie et douloureuse quarantaine – celle où elle devrait s’épanouir, aimer, et profiter de la vie. Mais après un divorce difficile, incomprise de son entourage, Anne survit dans l’isolement d’ un quotidien déprimant avec ses deux enfants, un petit boulot inintéressant et une maigre pension alimentaire. Et avec le constat amer, fermement ancré, que les choix qu’elle a faits ne tiennent pas tant du sacrifice que de la lâcheté. Avec son couple, Anne a tout perdu: sa famille, sa vie sociale, l’estime des autres, et surtout cette estime de soi qui met tous les obstacles sur son chemin pour se ré-approprier une vie de plénitude.
Mais parfois, quand on n’y croit plus vraiment, la vie vous fait des cadeaux, et Anne quitte bientôt la France pour L., une petite ville de Toscane, pour seconder le propriétaire d’une petite librairie française.
Accueillie à bras ouverts par tous, Anne ne tarde pas à se lier d’amitié avec Ale, une jeune fille italienne, étudiante et artiste, qui va se rendre rapidement indispensable, aussi bien en tant que « baby sitter » pour les enfants qui ont suivi, qu’en tant que confidente pour Anne.
D’une maturité exceptionnelle pour son jeune âge, Ale prend Anne sous son aile pour lui redonner confiance en la vie, et surtout en la possibilité de l’amour, qu’Anne pense avoir complètement perdue. En lui racontant une veille légende sarde, qui dit que toute femme qui s’adonne à cinq hommes différents entre deux pleines lunes verra son voeu exaucé, Ale redonne à Anne l’élan du possible, à travers un désir dont elle ne se croyait plus capable, un désir fait de fantasmes et de libération.
Entamant cette quête chimérique, Anne se dévoile à elle-même, prenant peu à peu conscience des entraves que sa propre vie et ses propres limites ont créées. Dans un ballet de corps tendus, de silences, de sensualité, d’érotisme et de jouissance, Anne se laisse conquérir par le jeu… jusqu’à ce que dans une chute vertigineuse, elle découvre les intentions réelles d’Ale.
Dans cette chute vertigineuse, le lecteur tombe aussi, soudain refroidi des tensions sensuelles des pages précédentes, pris au dépourvu. Ce deuxième tiers de roman bascule dans l’abasourdissement de la manipulation, odieuse, impensable, inimaginable et ses conséquences dévastatrices. Qui seront peut-être aussi l’élément déclencheur pour qu’Anne puisse retrouver celle qu’elle avait perdue depuis si longtemps, la petite fille solaire qu’elle fut naguère
J’ai compris que retrouver l’enfant en soi, ce n’est pas renouer avec l’innocence, l’ingénuité ou la naïveté, mais s’accepter soi, pleinement, sans s’interroger ni douter de l’évidence d’être soi
Il est rare, je crois, qu’un homme se glisse de façon aussi juste dans la peau d’une femme.
Par quelle magie est-ce possible?
Vous dîtes tant de choses, aussi factuelles que troublantes et évidentes, Monsieur von Grafenberg.
Avec bienveillance.
Et c’est ce regard bienveillant sur Anne, et d’une manière plus générale sur les femmes, qui est si plaisant à lire à travers les lignes, qui filent de page en page, habillées d’une écriture élégante dans l’atmosphère intimiste du roman.
Pas seulement intimiste, l’atmosphère porte la langueur de ces journées étouffantes de Toscane, où derrière les lourdes tentures on confine l’ombre, les secrets, les interdits, où la vie s’arrête aux heures les plus chaudes.
Quelle est cette petit ville de Toscane, L., ceinturée de ses lourds remparts, qui abrite des petites ruelles où se perdre lorsque les places touristiques de la ville deviennent infréquentables pour ses habitants? J’ai aimé penser qu’il s’agissait de Lucca, – et le souvenir de cette petite ville si belle n’a fait que rendre ma lecture plus agréable.
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Titre: Madame de X
Auteur: David von Grafenberg
Editeur: Editions Héloïse d’Ormesson
Parution: Mars 2018
Je ne connais pas (encore) l’auteur mais tu as réussi à me donner envie de le découvrir ! Merci pour cette belle chronique !
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C’est également la première fois que je le lis, même si c’est son troisième roman; c’est une très belle découverte, un moment de lecture sur lequel j’ai eu envie de m’attarder… J’espère que tu auras le même plaisir à le découvrir 🙂
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Je l’avais vu passer sans trop m’y intéresser. Pourquoi pas tenter !
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c’est une lecture que je ne regrette pas, et je pense que je pourrais même le relire… il y a des livres, comme ça 🙂
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Jolie chronique! Cette histoire a l’air très prenante!
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merci Laeti! il se dévore, tout simplement 🙂
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Tu me rends vraiment curieuse ! Je note 🙂
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ahah 😉craquera craquera pas?
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