L’amie des jours en feu

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L’amie des jours en feu est mon avant-dernière lecture dans le cadre du Grand Prix de L’Héroïne 2018 – promis je vous reparle très bientôt des romans sélectionnés! Ce roman italien a été sélectionné dans la catégorie Roman Etranger.

En ce printemps 1917, le Nord de l’Italie est à feu et à sang. Sur le front, dans un hôpital militaire de fortune, les infirmières volontaires de la Croix-Rouge s’activent à sauver ceux qu’elles peuvent, le plus souvent impuissantes face aux blessures qui transforment les hommes en charpie.

Maria Rosa, jeune fille issue de la haute bourgeoise napolitaine, sans expérience de soignante, a fui sa famille qui ne rêvait que de la marier au premier jeune homme de bonne famille venu. Eugenia, originaire du Nord de l’Italie, est arrivée pour exercer avec détermination sa vocation médicale. Entre elle deux, un fossé profond qui les oppose – les origines sociales et géographiques, le physique de la première grande, mince et blonde et celui de la seconde petite et brune, leur caractère et leurs ambitions. Maria Rosa est aussi maladroite et sensible à l’atrocité des blessures qu’Eugenia est habile et remplie de sang-froid.

Mais elles partagent la même chambre, et les réticences de d’Eugenia à l’égard de sa comparse  finissent par tomber. Réunies par le dur labeur quotidien des soins auxquels le plus souvent la mort vient mettre un terme, partageant la nuit les bombardements qui rendent leur vie aussi fragile que celle des soldats agonisant, l’amitié fait tomber les réticences d’Eugenia.

Dans l’intimité de la chambre, l’amitié se transforme en éveil à la sensualité, et bientôt en histoire d’amour. Une histoire d’amour impossible à vivre au grand jour, pourtant les jeunes femmes se promettent de s’aimer librement après la guerre, emplies de projets qui les portent: Maria Rose a découvert la photographie, tandis qu’Eugenia a décidé de devenir médecin.

Mais la guerre est encore longue, imprévisible, et la vie est si fragile…

Je ne sais pas ce que nous réserve l’avenir. Seule une situation aussi terrible et horrible que la guerre nous permet de nous aimer à notre guise. Ce ne sera plus le cas ensuite

 

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@Saul Leiter

Ce roman jette un regard sur cette Grande Guerre par le prisme  méconnu de ces femmes bénévoles, non formées à une tâche souvent ingrate et difficile, et qui par ailleurs pouvaient aussi être dénigrées dans leurs fonctions:

Le major désapprouvait la présence des femmes à l’hôpital de S., comme en témoignaient les regards de mépris qu’il nous lançait. D’ailleurs, il n’était pas le seul. Le capitaine sicilien, qui était beau, mélancolique et taciturne, me le dit un jour: nous autres femmes n’étions qu’une gêne à la guerre; si nous tenions tant à être utiles, nous n’avions qu’à rester chez nous, être marraines de soldats, confectionner des vêtements de laine et des couvertures, expédier des colis, tout au plus rendre visite aux infirmes qui affluaient dans les hôpitaux de l’arrière.

Elisabetta Rasy a redonné vie à ces femmes engagées, venant de tous horizons, prêtes à se sacrifier pour la guerre et leur pays – parfois par conviction, parfois par désoeuvrement. L’auteure italienne a particulièrement travaillé sur le climat où la mort, qui sans cesse revient, règne en maître. Tout n’est que lambeaux, chairs décomposées, gangrène, boue séchée sur les plaies. Les hommes ne sont plus chair, ils ne sont que plaies, bouillie, moignon, giclées de sang, trous béants, puanteur.

A notre retour et jusque tard, le soir, les camions déchargèrent une marée de blessés qu’on aurait crus vomis par les entrailles de la terre. Une fois de plus, il n’y avait pas assez de brancards, des hommes mourraient tandis qu’on les traînait à bout de bras à l’intérieur de l’hôpital, où les lits n’étaient pas en nombre suffisant, ce qui nous obligeait à les coucher sur le sol. De leur crâne sans cheveux à leurs pieds, ils n’étaient que lambeaux de chair, énormes plaies, leur visage une croûte noire

Autour de l’hôpital, la terreur des obus et du feu domine. Pendant la lecture, l’odeur de l’essence et du camphre accompagnent les lignes, les sens du lecteur sont happés non seulement par ces odeurs, mais également par le bruit de la guerre, et par la vision d’horreur au sein de ce micro-environnement hospitalier. Et au milieu de tout cela, un havre de sensualité, qui met avec douceur la guerre entre parenthèses.

La mer était mon plus beau rêve, toi dans la mer avec moi, tout ce liquide nous enveloppant, pas de poussière, pas de transpiration, le sel qui fait briller les corps

Malgré la précision de ce travail d’écriture, je n’ai pas cru à l’histoire d’amour entre ces deux femmes, quelque chose m’a manqué pour être moi aussi séduite par leurs amours interdites. Même si l’auteure sait évoquer la passion, la frustration, le chagrin et le déchirement de la séparation,  les passages sensuels m’ont paru… ennuyeux?

La forme narrative est pour beaucoup je pense dans la distance que j’ai gardée avec le récit. En utilisant le « tu » pour faire raconter l`histoire du point de vue de Maria Rosa qui s’adresse à Eugenia, Elisabetta Rasy a fait preuve d’une audace que je trouve peu payante pourtant. De même, la façon dont elle amène l’histoire des deux jeunes femmes, du point de vue d’un troisième personnage des années plus tard, est un procédé un peu trop facile et tiré par les cheveux – et finalement trop vu pour surprendre agréablement le lecteur.

★ ★ ★ ☆ ☆

Titre: L’amie des jours en feu (Le regole del fueco)

Auteur: Elisabetta Rasy

Editeur: Editions du Seuil

Parution: mars 2018

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