Alice Mc Dermott a fait de Brooklyn son territoire littéraire, qu’elle explore inlassablement. Son dernier roman, La Neuvième Heure, ne fait pas exception.
On y retrouve donc les ingrédients familiers de son oeuvre: les années 30, les liens familiaux, les origines irlandaises, et bien sûr, l’église.
C’est d’ailleurs elle qui est le personnage principal de La neuvième heure, ou plus exactement ses silencieuses et besogneuses représentantes, les Petites Soeurs soignantes des Pauvres Malades de la Congrégation de Marie devant la Croix, qui telles des chefs scout organisent la vie de ce quartier de Brooklyn.
Le jour où Annie, une jeune immigrée irlandaise, se retrouve veuve, de surcroît enceinte, soeur Saint-Sauveur débarque dans l’appartement sinistré par le suicide du mari comme elle débarque dans la vie d’Annie: directe, efficace, charitable.
Annie se retrouve avec un emploi de blanchisseuse au couvent, et avec une armada de baby sitters attentives à la petite Sally qui va grandir entourée de nonnes, chacune pourvue de son caractère: Soeur Lucy, au premier abord mal embouchée mais qui veillera avec bienveillance sur Annie, la novice Soeur Jeanne, espiègle et complètement dévouée aux enfants et surtout à Sally, et Soeur Illuminata, qui initiera Annie aux secrets du métier de blanchisseuse.
Dans le confinement du couvent, une belle demeure au parfum d’encaustique offerte à la congrégation, Alice Mc Dermott observe le ballet des nonnes à travers leur multiples tâches quotidiennes ponctuées par les prières dévouées à leur Dieu tout puissant.
Mais elle nous narre aussi l’histoire d’Annie et de Sally.
Annie, veuve, mère célibataire et pas moins femme qui portera le poids double du péché, celui de son mari suicidé et celui de la relation secrète qu’elle entretient avec M. Costello, le laitier tristement marié.
Sally, petite fille heureuse, choyée par sa mère et par les soeurs, qui se promènera sur le chemin de la vocation religieuse en cherchant sa voie.
Alice Mc Dermott a un don particulier pour explorer et décortiquer les petits riens de la vie quotidienne, et ce talent est encore plus louable lorsqu’il s’attache à rendre captivante la vie de quatre nonnes… Car franchement, le sujet est loin d’être glamour!
Captivantes, touchantes, énervantes parfois, elles sont aussi lumineuses, dans leurs habits amidonnés, ces petites fourmis indispensables à la vie du quartier, entre les soins qu’elles prodiguent aux malades et aux nécessiteux et l’aumône à laquelle elles consacrent leur fin de vie.
Reflet d’une époque où l’église avait un ascendant très fort sur la société, la toute puissance des ces bonnes soeurs sur la communauté du quartier paraît absolument irréelle aujourd’hui et en est d’autant plus fascinante. Si elles ont dédié leur vie à Dieu, elles n’en sont pas moins des êtres de chair, des âmes pétries de contradictions, aimantes et détestables parfois, des âmes encore plus conscientes de leurs péchés, à l’image de Soeur Saint-Sauveur, que le commun des mortels:
Elle dit à Dieu, qui connaissait ses pensées, Retenez-le contre moi si Vous voulez. Il pouvait inscrire cette journée dans la colonne du grand livre où étaient consignés tous ses péchés: la haine que lui inspiraient certains hommes politiques, l’argent qu’elle avait volé dans sa propre corbeille pour le distribuer selon son bon vouloir – à une fille atteinte d’une blennorragie ravageuse, à la femme battue d’un ivrogne, à la mère d’un bébé pas plus grand qu’un pouce qu’elle avait enveloppé dans un mouchoir propre, baptisé puis enterré dans le jardin du couvent. Tous les moments d’ô combien de jours où sa compassion l’avait abandonnée, où son amour pour le peuple de Dieu avait été moins prompt à se manifester que son mépris juvénile pour la stupidité et les péchés mesquins de ses congénères.
Particulièrement sensibles au sort des femmes, elles n’en sont pas pour autant trop gentilles. Non, elles peuvent se montrer cyniques, méchantes à l’occasion. Un parfait parallèle aux vies d’Annie et Sally, leurs protégées, qui s’avèreront moins lisses qu’elles auraient pu l’être.
Si les romans d’Alice Mc Dermott sont des romans intimistes, des romans d’atmosphère qui s’attachent aux petits détails de la vie, ils ont la dose de cynisme nécessaire pour ne pas les rendre ennuyeux.
On peut mettre un peu de temps à s’approprier l’histoire, tant dès le début elle foisonne de détails dont on ne saisit pas immédiatement la finalité – l’arrivée intempestive de la nonne sur le lieu du drame paraît assez incompréhensive et irréelle, même. Forcément, ce n’est pas quelque chose qu’on peut comprendre d’emblée, mais ça viendra!
Il faut faire connaissance avec chacun des personnages, les apprivoiser, entrer dans leur histoire, dans leur raison d’être. Oublier les notions de temporalité sur laquelle l’auteure donne peu d’indices (et finalement, cela a peu d’importance, même si on guette ça et là des repères historiques).
En faisant des futurs enfants de Sally les narrateurs de l’histoire, Alice Mc Dermott trouve un biais très habile qui dévoile subtilement le destin des personnages.
Si vous cherchez un roman d’action ou une fiction purement romanesque, passez votre chemin. Chez Alice Mc Dermott, l’action est dans l’ordinaire.
J’ai pour ma part craint avoir du mal à m’attacher à ces bonnes soeurs, mais comme les trois romans de l’auteure que j’ai lus précédemment, la confiance se gagne au fur et à mesure des pages, et le jeu en vaut vraiment la chandelle.
La preuve, c’est qu’une fois refermé, l’atmosphère si particulière du roman m’a manqué, tout autant que ses personnages.
★ ★ ★ ★ ☆
Titre: La neuvième heure (The ninth hour)
Auteur: Alice Mc Dermott
Editeur: La Table Ronde
Parution: 23 Août 2018
Commencé hier ! j’avance très vite…
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Oui, j’imagine ! Difficile de le lâcher !
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