Elle.
A la fois discrète et populaire.
Celle qui depuis tant d’années parle des livres et nous donne envie de les lire.
Celle qui avec ses mots sait dire avec passion pourquoi elle adore, ou avec véhémence pourquoi elle déteste, sans ambages.
Celle dont l’écriture, fine et sensible, nous a si souvent interpellée, à se questionner: pourquoi n’écrit-elle donc pas?
Elle, maintenant, à son tour sous le feu des projecteurs de la rentrée littéraire.
Attendue avec impatience depuis qu’il se chuchote qu’elle a écrit un livre.
Qu’elle va sortir un livre. Pas un roman non, mais un récit personnel. Elle, que l’on voit si pudique.
Alors, forcément en ce jour de présentation de la rentrée littéraire de septembre, à l’Institut du Monde arabe, on était ému de la considérer à l’intérieur de ce cercle d’écrivains – cette fois elle n’allait pas parler des livres des autres, mais du sien. Sereine, en apparence uniquement peut-être, souriante, elle a parlé posément d’Avec toutes mes sympathies, né comme une nécessité de la perte tragique de son frère et, lumineuse, nous en a lu quelques pages.
Où es-tu mon frère?
Comme une quête, Olivia de Lamberterie pose inlassablement la question dans son récit.
Où es-tu mon frère?
Alexandre a choisi de mourir. Il avait 46 ans. Peut-on être assez malheureux ici-bas pour décider qu’on ne peut plus vivre? Peut-on être si désespéré que les êtres qu’on aime et qui nous aiment, avec force, ne nous lestent même plus assez pour pouvoir rester ancré chez les vivants?
Il est mort, mais où est-il parti, cet être de lumière?
Et si c’était lui, ce grand oiseau noir, qui toujours lui apparaît, comme un signe?
Le retrouver est une quête, l’espoir auquel se raccrocher dans le désespoir le plus profond.
Parce qu’elle ne veut pas faire son deuil de son jeune frère, parce que la tristesse n’est pas une option pour continuer à avancer, parce qu’il faut, même, être joyeux, Olivia va écrire.
J’écris pour prolonger l’existence d’Alex et m’empêcher de sombrer. Parce que je ne peux tout simplement pas reprendre ma vie comme s’il n’avait jamais existé.
Dans une chronologie qui dessine, comme des points numérotés qu’on relie, les contours de la disparition d’Alexandre, elle raconte.
L’enfance douce et heureuse dans le cocon ouaté de la famille bourgeoise pur 16ème arrondissement où vouvoyer ses parents est chose naturelle, celle où on ne voit que la surface des grandes personnes et le bonheur, celle aussi on nous apprend à ne pas s’épancher sur les malheurs, sur les douleurs. Never complain…
Puis les jours qui s’assombrissent, Alexandre ayant vraisemblablement hérité de ce mal de vivre familial qui touche les hommes de la famille. Cette spirale infernale, que les médecins, un jour, trop tard sûrement, appelleront dysthymie – malédiction qu’Alexandre, hypersensible, mélancolique, désabusé mais aussi brillant, beau et charismatique, n’aura pas su briser.
Et qu’Olivia sa soeur devra accepter:
Si, pour toi, c’est mieux, j’accepte de vivre décapitée
L’amour et la colère, dans un même cri puissant et bouleversant, se partagent les pages.
La joie et la tristesse s’entremêlent, parce qu’on peut être triste en étant joyeux. Comme une politesse, comme un acte d’amour ultime.
Pour la première fois depuis le 14 octobre, j’éprouve le sentiment que la douleur logée à jamais dans nos organes est capable aussi de teinter la joie retrouvée d’une intensité inédite. Nous rions aux étoiles, nous dansons, le vertige est proche, mais nous sommes debout parmi les debout.
Nous ne sommes plus tristes à en mourir, justes tristes à en vivre. On s’habitue au couteau planté dans les tripes.
Olivia de Lamberterie se livre vraie, sincère, puissante, aimante, rugissante, déshabillée de sa réserve, de sa notoriété. Tour à tour soeur, fille, femme, mère, belle-mère, tante, belle-soeur, vigie d’une tribu portée par l’amour.
J’ai pleuré sur ces pages. Pleuré pour un homme que je ne connaissais pas mais que j’aurais forcément aimé voir vivre, pleuré comme une soeur qui saisit une infime partie de la douleur de perdre un frère. Pleuré comme la soeur que je suis qui ne sait peut-être pas aimer suffisamment bien son frère.
C’est un plaisir infini de retrouver l’écriture d’Olivia de Lamberterie, toujours aussi juste et pleine de cette acuité particulière. Mais ici, elle est auréolée d’un éclat, d’une lumière dans ce récit de l’intime, de la douleur et de la vérité.
La littérature, forcément illustre les pages et le chagrin, et aide l’auteure à répondre aux questions qu’elle se pose.
J’ai eu une pensée particulièrement émue à l’évocation de Joan Didion et de L’année de la pensée magique : par réseau social interposé, Olivia de Lamberterie m’avait recommandé de lire ce livre – sans le savoir à ce moment, j’ai réalisé que c’était l’année qui suivait la mort d’Alexandre – j’étais alors bien loin d’imaginer l’accompagnement que les mots de Joan Didion avaient pu représenter.
Titre: Avec toutes mes sympathies
Auteur: Olivia de Lamberterie
Editeur: Stock
Parution: 22 Août 2018
Très jolie chronique pour ce roman qui semble bouleversant…
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Est ce parce que c’est toi, parce que c’est elle, parce que c’est ce roman, je pleure à nouveau, tes mots sublimes me font revivre toute l’émotion de ma lecture. Bravo Soso, c’est une chronique chef d’œuvre
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je suis, depuis le décès de mon père fin 2017 attirée par des livres qui m’aideraient à faire un deuil qui me parait aujourd’hui encore impossible..celui ci me semble à travers tes mots à la fois suffisamment grave et léger à la fois pour m’aider un peu..merci Sonia et merci à tous ces écrivains qui ont les mots que d’autres n’ont pas
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Chère Geraldine, pourquoi est-ce que ce commentaire n’apparaît que maintenant ? Une fonctionnalité du blog que je découvre ?… merci. Trouver l’apaisement est si difficile… un frère, un père, un mari, un enfant… cela nous ampute d’une partie de nous-mêmes mais il faut survivre… 😘
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Aaaahh (soupir…) quel beau billet! Et les passages repris sont sublimes. J’imagine bien une langue délicate et poétique dans ce récit. j’aurais aimé le découvrir en avant-première (gnark gnark) mais ce n’est que partie remise 😉
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je fais une pause sur le deuil .. j’ai du en lire 5 cette année (j’ai lu il y a fort longtemps La pensée magique et depuis je dévore Joan Didion) donc je cherche des lectures différentes! mais j’aime bien son univers (sa bibli fait envie !)
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Très jolie chronique qui restitue parfaitement les émotions ressenties à la lecture de ce livre. Merci
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Il est toujours tellement difficile d’écrire une chronique sur un livre aussi personnel, sans avoir peur de le trahir… Merci à toi!
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