Une vie de pierres chaudes

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Il y a parfois des titres, plus que le sujet derrière le titre, qui nous attirent.

Que se cachait-il derrière la minéralité de celui-ci, « Une vie de pierres chaudes », qui m’a fait dépasser ma hantise d’un thème que je fuis le plus souvent: la guerre d’Algérie?

Il aurait aimé lui parler de la mer, de tout ce qu’elle était réellement, les voiles géantes des vagues, les routes invisibles des bateaux, les eaux profondes parcourues d’étoiles, un grand baiser très bleu, un monde sans origines ni fin qui porte en lui l’histoire des hommes et la promesse d’une paix infinie.

Je me suis laissée porter par ce récit qui démarre de façon énigmatique, un homme dans un tramway qui va vers les hauteurs d’Alger, un étranger que le regard des autres exclut. Un homme qui d’emblée fait naître une lourdeur dans le bas du ventre, comme un malaise, comme une attente aussi.

Mais le récit glisse sur un autre terrain, revient six en arrière en 1964, dans l’été lumineux d’Alger la blanche: les filles de la jeunesse dorée française y sont belles, brandissant leur légèreté un peu sulfureuse comme des héroïnes de Sagan. Rose rencontre Louis, l’homme du tramway, et le destin entre la bachelière et l’appelé de la guerre d’Algérie est scellé.

Rose est volubile, gâtée, heureuse de vivre. Louis est terriblement séduisant – tout autant qu’il est silencieux, coupant, taciturne. Et soudain, dans la vie de Rose, le doute va s’insinuer: qui est vraiment Louis, cet homme qu’elle finit par épouser – sans le connaître?

Rose n’entendait plus qu’un bourdonnement monstrueux. Elle luttait contre le vertige, une sensation hideuse d’écoeurement qui explosait dans sa tête. Ses cheveux étaient trempés, la sueur coulait comme de l’eau sur son front. Elle relâcha tous les muscles de son corps et se laissa doucement glisser au sol

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Dans un récit à la chronologie savamment déstructurée qui se lit dans un souffle, l’histoire se révèle, petit à petit, semant ça et là ses indices, sur la toile de fond de l’Algérie d’avant et d’après l’indépendance – tandis que la guerre, finalement, livrera les pièces manquantes du puzzle.

Impossible de vous dévoiler l’histoire si ce n’est que c’est celle d’un homme, brisé par la guerre, qui cherche à reconstruire sa vie, et  qui veut retrouver, comme il le peut, celui qu’il était avant la guerre.

Alors forcément, dit comme ça on se dit qu’il va bien nous émouvoir ce Louis.

Sauf que ce n’est pas aussi limpide.

Louis, tout au long du roman, m’est apparu comme un beau salaud. Je ne l’ai pas aimé. J’ai détesté son égoïsme. Les vies qu’il brise sur son passage. Sa famille qu’il sacrifie. J’ai tourné dans tous les sens l’histoire pour comprendre les non-dits. J’ai échafaudé des hypothèses, qui la page suivante ne tenaient plus la route. Je n’ai pas toujours compris les choix des personnages, le consentement de Rose, la présence constante de l’ami d’Algérie, Antoine.

Mais j’ai vibré, tout au long des allers-retours sur ces quarante ans d’histoire, qui s’achèvent  à Marseille dans l’apothéose de la coupe du monde du 12 juillet 1998.

A travers ces quarante ans d’histoire, c’est une fresque qui évoque la tragédie d’un pays et les drames du déracinement. Les souffrances de ceux qui ont vécu « ça » , les souffrances de ceux qui ont dû quitter un pays pour un autre – ou le soulagement pour d’autres.

Une vie de pierres chaudes est ni plus non moins qu’un énorme coup de coeur.

J’aime quand une histoire me surprend, quand je la reprends à l’envers une fois la dernière page tournée. Ici, j’ai repris les dates, reconstruit la trame chronologiquement, pour relire l’histoire sous un autre angle – évidemment que cette construction non linéaire du roman est géniale!

L’écriture d’Aurélie Razimbaud m’a conquise. Elle a su imprégner son récit de matière, de minéralité, de soleil dans l’ombre. Le titre en est le meilleur exemple. J’ai laissé la lumière d’Alger m’imprégner, me recharger, j’ai ressenti la plénitude de la mer dans laquelle Rose nage, pour s’amuser, pour s’épuiser, pour oublier.

En clôture de cette lecture, j’ai eu la chance d’être conviée par les éditions Albin Michel à une rencontre avec l’auteure. Nous étions quelques blogueurs – qui étaient les plus intimidés? Nous, face à cette jeune femme blonde, solaire, brillante? Elle, face à ses lecteurs, quatre blogueurs avides d’échanger avec elles?

Aurélie Razimbaud nous a parlé du cheminement de son roman: la genèse (le silence de son grand-père qui a « fait » l’Algérie), la préparation avec une lourde recherche documentaire, les deux ans d’écriture, les coupes dans le roman, le renoncement à certaines parties plus lourdes sur la guerre qu’elle avait pourtant intensément travaillées, le travail des personnages – oui, au départ, Louis était bien un salaud, mais finalement son personnage s’est densifié, adouci, arrondi.

Le regard d’Aurélie sur Louis m’a touchée, réconciliée avec son égoïsme.

Nous avons évoqué ensemble la littérature, Albert Camus qui imprègne le premier chapitre, Louis dans le tramway que j’ai ressenti comme un parallèle à Meursault dans le bus qui l’emmène voir la dépouille de sa mère.

C’est donc un double coup de coeur pour moi en cette rentrée littéraire: coup de coeur pour le roman, et coup de coeur pour l’auteure – dont j’attends évidemment avec impatience le deuxième roman.

★ ★ ★ ★ ★

 

Titre: Une vie de pierres chaudes

Auteur: Aurélie Razimbaud

Editeur: Albin Michel

Parution: Août 2018

6 réflexions sur “Une vie de pierres chaudes

    1. J’ai entraperçu ta chronique et j’ai préféré attendre avant d’aller la lire 🙂 Par quels passages as-tu été déçue? Pour ma part, j’ai aimé ne pas savoir à quelle révélation m’attendre, j’ai tout imaginé, sauf Louis tel qu’il était en 1958 – et ce qui l’a conduit à devenir ainsi.

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      1. Je dirais par la seconde moitié du roman… J’aurais aimé que toute la révélation autour de Louis soit plus étayée, car on crée un énorme suspense autour et finalement, la scène (certes violente) est bien courte. Je me suis un peu emmêlée avec les allers-retours dans le temps !

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      2. Merci d’avoir pris le temps de me répondre! Je peux comprendre, mais ces points ne m’ont pas gênée. Je déteste généralement les errements chronologiques, mais je t’avoue qu’ici j’ai trouvé qu’ils donnaient toute la consistance au suspense du roman. En tous les cas, cette lecture provoque ce que j’aime avec un livre: la discussion 🙂

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