La neige s’en mêle, ce jour-là, en plus du reste, lorsque Russel Fontenot doit quitter dans la hâte une réunion à Washington pour rejoindre sa compagne Jennie, sur le point d’accoucher.
Après une scène des plus gênantes si elle n’était pas si drôle dans les toilettes où son téléphone portable tombe dans la cuvette, le voici devenu injoignable et dans l’incapacité de contacter Jennie.
A peine sur la route, la colère le gagne soudain alors qu’il devrait être tout à la joie de la naissance imminente de leur enfant, une colère qui remonte du fond de son corps, de son histoire et qu’il dirige contre celle qu’il aime. Et la neige continue à tomber dans des bulletins météo alarmistes, augurant d’un voyage long et difficile pour arriver jusqu’à Charlottesville.
Au cours des heures de cette odyssée qui s’égrainent, les souvenirs refont surface, et Russel revient sur le parcours de sa vie en même temps qu’il prend conscience qu’il n’est décidément pas prêt à être père. Peut-être peut-il encore échapper à ce bouleversement? Et s’il quittait la route, là, maintenant, pour partir ailleurs?
De flashbacks en souvenirs, Russel nous livre son histoire, celle d’un gamin élevé seul par son père, «le vieux », un cajun, ni américain ni français malgré son nom, Fontenot. Un taiseux, un vieux bourru, sans affection ostensible.
j’avais fini par penser que j’étais juste né de lui, d’un morceau de sa chair qu’il s’était arraché lui-même et qu’il avait dressé comme un animal
Pas de mère, dans l’histoire de Russel, pas d’histoire sur les entrailles desquelles il est né, pas de traces des semences d’un amour qui auraient pu l’engendrer.
Russel, surnommé « Frenchy » s’élève tout seul, sous la présence silencieuse et distante d’un père qui un jour décidera qu’il est temps de partir.
Sa famille de coeur, c’est à l’université qu’il va la rencontrer. D’abord réduite à un seul ami, Koz, devenu presque un frère. Koz, un garçon de l’extrême, bien plus intéressé par la musique et ses drogues que par son cursus universitaire mais qui dissimule ses propres drames.
Puis il y a la rencontre amoureuse avec Jennie, inconsciente figure maternelle de substitution, qui d’ici quelques heures mettra au monde leur premier enfant.
Dans une alternance du présent et des souvenirs, Brice Holms met en scène le parcours initiatique de Russell sur les cendres des absences qui ont marqué sa vie. Son chemin est une quête identitaire, celle d’un fils qui n’a pas vraiment pu en être un, et celle d’un père en devenir qui ne sait pas s’il pourra en être un, faute d’avoir eu celui qu’il fallait
ce n’est pas moi qui ai voulu ce gosse, et au fond de moi, je n’en veux pas! Je serais un père de merde parce que j’ai eu un père de merde. Un père qui n’était pas un père. Parce que je n’ai même pas été un fils…
Russel s’autorisera-t-il enfin à reconnaître qu’il a pu être un fils né de deux êtres qui s’aimaient, un enfant né d’amour, et peut-être renaître littéralement avec la venue au monde de son enfant?
Brice Homs interroge les rapports père et fils dans un « vrai » roman américain.
Car Brice Homs est français, son roman a été écrit en français, mais il respire la culture américaine, que l’auteur – par ailleurs scénariste et musicien, connaît pour avoir vécu plusieurs années aux Etats-Unis, et notamment en Louisiane.
La Louisiane, pays cajun, imprègne le livre et l’histoire de Russel, même si l’histoire ne s’y déroule pas.
Russel est un de ces anti-héros américains dévorés par la colère mais aussi terriblement humains et attachants qu’on aime chez des auteurs américains tels que Willy Vlautin ou Michael Farris Smith.
Il se dégage du roman un visuel très cinématographique, façon road-movie entrecoupé de flash back, servi par un rythme vif et une plume alerte dans un récit à la première personne, qui embarque complètement le lecteur.
Sans compter la neige est le deuxième roman de Brice Homs, après Blue publié en 1993. Vivement le troisième!
Brice Homs, 19 décembre 2018
Titre: Sans compter la neige
Auteur: Brice Homs
Editeur: Les Escales
Parution: 17 janvier 2019
Pour être très honnête, en regardant les nouveautés des Escales, le résumé ne m’inspirait pas trop. Mais cette couverture et le côté « vrai » roman américain que tu soulignes pourraient me faire changer d’avis !
J’aimeAimé par 1 personne
Tu seras agréablement surprise, j’en suis certaine. J’apprécie en tous les cas que ce billet ai pu te donner une autre vision sur ce roman 😉
J’aimeAimé par 1 personne
Ah je note ce titre et cet auteur à découvrir !
J’aimeAimé par 1 personne
Merci à toi, heureuse qu’il te donne envie!
J’aimeJ’aime