Les désillusions d’un illusionniste.
C’est un drôle de réveil en ce jour de 1906 dans la cuisine de l’Empire Theater à Belfast.
Après une soirée d’excès alcoolisés, Oliver Fleck l’illusionniste reprend ses esprits au petit matin, quasiment nu, tenant dans sa main ensanglantée une molaire. Celle de la femme qui gît plus loin, endormie sur ses vêtements, la jupe retroussée dévoilant attachée autour de sa cuisse la lavallière bleue d’Oliver!
Cette femme, c’est Edith, une pianiste – et malgré ce démarrage aussi burlesque que gênant, ils vont vite devenir inséparables à la vie comme à la scène, où l’illusionniste de génie et la pianiste de talent vont exceller ensemble.
La vie leur sourit, le succès leur donne l’audace de croire en eux, et les deux jumeaux conçus lors de leur première nuit vont définitivement sceller leur destin.
Pourtant, les jours de faste où un pécule « suffisant pour payer le toit et la pitance de sa nouvelle famille pendant deux ou trois semaines, voire un mois » vont se faire de plus en plus rares.
Les salles de spectacles, délaissées par la naissance du cinéma et aussi bientôt par la guerre, ne font plus recette – et les perspectives de contrats, elles, se tarissent. Mais Oliver, artiste dans l’âme, passionné par l’art de l’illusionnisme qui a fait sa renommée, veut continuer à croire aveuglément au succès d’un spectacle en solo qui lui apporterait la gloire.
Alors, de tournée en tournée pour gagner un maigre salaire, loin de sa famille pendant des mois, il s’enlise dans l’alcool et dans ses illusions pour mieux tomber dans la disgrâce, tandis que sa famille tente de survivre.
Sydney Brown engloutit la dernière bouchée de sa tarte aux pommes, se lèche les lèvres, ingurgite une lampée de whisky. « Tu as le talent pour être tête d’affiche, et le talent pour faire un spectacle en solo… aucun doute là-dessus, Oliver. Absolument aucun doute là-dessus. Mais ce n’est pas une question de talent. » Il jette sa serviette sur la table. « Tu veux vraiment savoir pourquoi ça n’arrivera jamais? » Il se carre dans son siège. « Le problème Oliver, c’est que tu es mal dégrossi. Tu es trop indécrottablement irlandais »
Jusqu’où pourront-ils aller ensemble dans cette déchéance sociale et psychologique?
Michèle Forbes livre un roman intense, sombre et bouleversant, qui n’a pas été sans m’évoquer Charles Dickens entre David Copperfield et Oliver Twist. Avec un grand talent et beaucoup de réalisme, elle fait revivre un contexte historique, abordant les mouvements sociaux et politiques irlandais, ainsi que la guerre sans pour autant étouffer avec son récit.
Elle a su donner corps à des personnages grandioses, même quand ils sombrent dans le drame.
Et combien de drames ont eux-même construit le drame d’Oliver, celui d’un petit garçon dont la famille se disloque par la perte de la mère tant aimée, et qui finit par se retrouver abandonné de son frère puis de son père quittant à tour de rôle le foyer. Toute la combattivité, tout le désespoir et tous les démons d’Oliver trouvent leur sens dans son histoire et on souhaiterait tant pouvoir l’arrêter dans sa chute grotesque, dans le nouveau drame qui se profile.
Si le personnage d’Edith, devenue mère au foyer, s’efface dans la misère du quotidien, elle laisse la pleine mesure à ses jumeaux, le vaillant Archie et Agna, fragile jeune fille qui garde les mots prisonniers à l’intérieur de sa tête, incapable de parler.
Elle a dit que sa tête était une prison de mots très froide et que la première fois où elle avait vu la neige les mots emprisonnés dans sa tête avaient commencé à fondre exactement comme les flocons qui tombaient autour d’elle. Et elle s’est sentie libre et délivrée de la peur
La langue de Michèle Forbes, traduite par Anouck Neuhoff, retranscrit avec beaucoup de justesse et de poésie ces vies fragiles tandis qu’elle se fait magicienne pour reconstituer cet univers révolu de saltimbanques.
Michèle Forbes m’a embarquée intensément dans cette histoire que j’aurais aimé pouvoir dévorer d’une traite – mon seul petit regret vient d’une fin que j’ai ressentie comme un peu précipitée et un peu frustrante. Mais cela ne m’empêchera pas de recommander vivement ce très beau roman.
★ ★ ★ ★ ☆
Titre: Edith & Oliver
Auteur: Michèle Forbes
Editeur: La Table Ronde
Parution: janvier 2019
J’adore la couverture ! 😉
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Elle raconte le roman avec une multitude d’indices – Elle est vraiment belle, merci de l’avoir remarqué 😉
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Cela fait vraiment très envie…
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Tant mieux ! Je suis rarement déçue de mes lectures dans cette collection…
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tu n’es pas la première à être emballée par ce roman, vraiment tentant!
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j’ai toujours eu envie de lire le roman d’Ann Pachett à cause de sa couverture anglo-saxonne, je vois qu’elle est identique en version française et que tu le lis donc je suis curieuse de voir ce qui se cache derrière cette magnifique photo !
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Je viens de le finir ! J’ai beaucoup aimé… la couverture est dingue de beauté et je trouve qu’elle se marie tellement avec le roman. J’espère avoir rédigé ma chronique très vite 😉
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Ah super nouvelle ! Il est dispo en vo à ma bibliothèque du coup je vais l’emprunter ! Merci 😊
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chronique en ligne 😉
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Contente de lire que tu as aimé aussi ! Jette-toi sur son premier roman, « Phalène fantôme », il est encore meilleur …
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il est dans ma PAL, j’espère pouvoir le commencer bientôt… Heureuse de savoir qu’il est encore meilleur, je me réjouis 🙂
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